Affaire Martinez Zogo : L’urgence d’une communication maîtrisée face au conflit entre l’enquête judiciaire et journalistique.

Affaire Martinez Zogo : L’urgence d’une communication maîtrisée face au conflit entre l’enquête judiciaire et journalistique.

Par Florentin Ndatewouo

L’affaire Martinez Zogo est l’objet d’un traitement médiatique quelquefois  controversé. Le corps présumé de l’ancien animateur vedette de l’émission « embouteillage » sur la station de radio amplitude Fm, a été découvert en date du 22 janvier de l’année en cours. Depuis lors, l’opinion publique demande des comptes aux pouvoirs publics, soumettant ainsi la presse à de multiples pressions. Ces pressions sont accentuées par les lanceurs d’alerte, à la recherche effrénée du buzz.

Dans la foulée, une enquête mixte police-gendarmerie est prescrite par le président de la République. En date du 02 février de l’année en cours, le ministre Secrétaire général de la Présidence de la République rend public un communiqué. Il fait savoir que « les investigations menées dans ce cadre ont à ce jour permis l’arrestation de plusieurs personnes dont l’implication dans ce crime odieux est fortement suspectée… »  

Bien avant la publication de ce communiqué, la toile se verra inondée de contenus, dont la teneur serait, aux dires des auteurs, le rendu des dépositions de personnes interrogées dans le cadre de l’enquête en cours. Une frange de la presse va d’ailleurs s’abreuver elle aussi à cette « source ». Sur la chaine de télévision Tv5 monde, Reporter sans frontière se livre au même exercice…

 

 

« Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel sous peine des sanctions prévues à l'article 310 du Code Pénal. »

 

 

 Une pratique qui rame à contre-courant des dispositions de la loi du 27 juillet 2005 portant code de procédure pénale camerounais. L’article 102 (1) du texte normatif évoqué supra dispose que la procédure durant l'enquête de police judiciaire est secrète. A cet effet, « Toute personne qui concourt à cette procédure est tenue au secret professionnel sous peine des sanctions prévues à l'article 310 du Code Pénal. » L’article 154 du Code de procédure pénale étend cette mesure à l’information judiciaire.

Le secret de l’enquête et de l’instruction, se veut indispensable à l’obtention de la vérité dans les conditions de sérénité. Dans sa réflexion sur les « investigations procédurales et investigations journalistiques », Valerie Bouchard distingue le secret matériel du secret substantiel. Le premier porte sur les actes de procédure. Le second fait référence au contenu, à l’information révélée au cours de l’enquête diligentée.

Dans le cadre de l’affaire Martinez Zogo, la publication par les lanceurs d’alertes des dépositions des suspects ; la révélation d’une liste d’influenceurs et journalistes, à qui l’on reproche la perception de ressources financières, par l’entremise d’un suspect, en contre partie de leur silence…participent de la violation du secret substantiel de l’enquête mixte en cours.

Dès lors, l’actualité relative à l’affaire Martinez Zogo remet au goût du jour, le conflit existant entre l’enquête judiciaire et l’enquête journalistique.

 Il convient de noter que, la phase préparatoire au Procès se singularise par le principe de l’opacité. A l’opposé, l’enquête journalistique obéit à la logique de publicité. Ces deux dynamiques antagonistes suscitent quelques fois des incompréhensions, créant par voie de conséquence, un conflit entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir médiatique. « (…)Il en est ainsi, lorsqu’en l’absence ou nonobstant les communiqués officiels, la presse diffuse à grand renfort de photographies avantageuses et d’interviews occultes, des confidences empressées recueillies ou extorquées çà et là, et portant parfois sur des innocents dont la personnalité est livrée à la malignité publique », déplore François Xavier Mbouyoum.

Il convient de noter que la dynamique antagoniste qui régit le rapport entre l’enquête judiciaire et l’enquête journalistique n’est pas un fait nouveau.

 

 

 

« La presse peut les révéler au public, dans le respect des prescriptions légales sans que cette publicité compromette l’aboutissement de l’enquête ou de l’instruction, par la révélation des détails qui alerteraient les délinquants… »

 

 

 

Elle fera d’ailleurs l’objet d’une réflexion menée par François Xavier Mbouyoum. Ainsi, à l’occasion de l’audience solennelle de rentrée de la Cour suprême du 15 décembre 1973, le Procureur général près la juridiction de céans d’alors, rappelle le bien-fondé du secret de l’enquête et de l’instruction. In limine litis, le patron des Magistrats du Parquet note que cette mesure ne vise pas à restreindre la liberté d’expression. « A aucun moment, le législateur camerounais n’a entendu que soient cachées au public, l’atteinte à l’ordre social qui a causé un trouble, et les mesures prises par la Justice pour y remédier ou les sanctions prononcées à l’encontre de leurs auteurs. » Toutefois, François Xavier Mbouyoum précise les conditions dans lesquelles, les professionnelles de l’information peuvent exercer leur droit : « La presse peut les révéler au public, dans le respect des prescriptions légales sans que cette publicité compromette l’aboutissement de l’enquête ou de l’instruction, par la révélation des détails qui alerteraient les délinquants et les inciteraient sinon à fuir, du moins à cacher le produit de leur forfait, à subordonner les témoins à charge. »

La violation du secret de l’enquête préliminaire et de l’instruction n’est pas une particularité camerounaise. La pratique a également cours en France. A cet effet, le garde des Sceaux de l’Hexagone entend juguler le phénomène. Il adresse une dépêche le 27 avril 2017 aux Magistrats du Parquet ainsi qu’à leurs collègues, présidents des juridictions. « Le sens de cette décision justifie qu’à l’avenir, aucune personne, autre celles concourant à la procédure au sens de l’article 11 du Code de procédure pénale, et en particulier aucun journaliste, ne puisse assister à l’accomplissement d’une perquisition et à fortiori ne puisse capter les images de son déroulement, nonobstant l’accord de la personne concernée et l’autorisation délivrée par une autorité publique. » 

Cette dépêche fait l’objet d’un recours devant le Conseil d’Etat pour excès de pouvoir. Dans le même temps, l’Association de la presse judiciaire introduit une Question prioritaire de constitutionnalité (Qpc). Laquelle est transmise au Conseil constitutionnel par une décision du 27 décembre 2017. Le 02 mars 2018, le Conseil constitutionnel y répond. Il note qu’en instaurant l’article 11 du Code de procédure pénal, le législateur vise comme objectif « la préservation du bon déroulement de l’enquête et l’instruction » et les intérêts du mis en cause au nom de la protection de la vie privée et de la présomption d’innocence. « En conclusion, l’atteinte aux libertés précitées est nécessaire, adaptée et proportionnelle aux objectifs poursuivis. L’article 11 est donc conforme à la constitution. »

Le rapport antagoniste entre l’enquête judiciaire et l’enquête journalistique met en évidence la nécessité d’instaurer un climat d’équilibre qui articule à la fois le respect du principe de présomption d’innocence, reconnue aux suspects interpellés dans le cadre d’une enquête, et le droit à l’information. A cet effet,  François Xavier Mbouyoum propose : « la codification de la pratique des communiqués de police relatifs aux affaires criminelles soumises aux officiers de police judiciaire et qui méritent d’être portées à la connaissance du public, afin de donner aux journalistes la possibilité de s’informer aux meilleures sources. » Nous avons dit.