Conseil supérieur de la Magistrature: l’occasion de rebâtir la maison Justice sur le chantier des réformes

Conseil supérieur de la Magistrature: l’occasion de rebâtir la maison Justice sur le chantier des réformes

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Outre l’amendement du chapitre lié à sa composition, l’urgence de la modification des dispositions relatives aux attributions de l’instance en charge de la nomination, la promotion, entre autres, des magistrats est à encourager à l’occasion de la tenue ce 10 août de l’une de ses sessions.

 

Par Florentin Ndatewouo  

 

La session du  Conseil supérieur de la magistrature (Csm) a lieu ce lundi 10 août. La salle des conseils de la présidence de la République abritera les travaux prévus débuter à 12h. Les sessions du  Conseil supérieur de la magistrature sont dédiées à nombre d’activités. L’article 11 de la loi du 26 novembre 1982 fixant l’organisation et le fonctionnement du Conseil supérieur de la Magistrature dispose:  « (2) Sont, en outre, soumis à l’avis du Conseil supérieur de la magistrature:

Les projets ou propositions de loi et les projets de tous les textes réglementaires relatifs au statut de la magistrature.

Les propositions;

D’intégration dans la magistrature;

D’affectation et de nomination des magistrats du siège dans les fonctions judiciaires;

Les mutations des magistrats du siège au parquet ou des magistrats du parquet au siège.

-Les projets d’actes concernant les magistrats, s’il en est ainsi requis par le statut de la magistrature.  » Cette disposition montre le rôle majeur du Conseil supérieur de la magistrature dans le fonctionnement de la justice au Cameroun. Cependant, la loi sus-mentionnée comporte de nombreuses insuffisances. A titre d’exemple, les dispositions du titre premier qui confèrent une  forte présence du pouvoir exécutif sur le pouvoir judiciaire. Idem pour le pouvoir législatif, représenter par trois députés désignés par l’assemblée nationale.

 

 

Parce qu’il faut respecter le principe de séparation des pouvoirs

 

 

L’article 1er (1) de la loi sus-évoquée dispose que « Le Conseil supérieur de la magistrature est présidé par le président de la République.

2) Le ministre chargé de la justice en assure la Vice-présidence. Toutefois, le président de la République peut désigner une autre personnalité en qualité de Vice-président.

Le Conseil supérieur de la magistrature comprend en outre

a)Trois députés désignés par l’Assemblée nationale au scrutin secret, et à la majorité des deux tiers des membres la composant.

  1. b) Trois magistrats du siège au moins du 4ème grade, en activité de service, désigné par la Cour suprême en Assemblée plénière.

Une personnalité n’appartenant ni à l’Assemblée nationale, ni au corps judiciaire, et n’ayant pas la qualité d’auxiliaire de justice, désignée par le président de la République, en raison de sa compétence. » Cette présence de l’exécutif, notamment celle du président de la République au sein de cette institution, ainsi que le législatif, constitue une violation flagrante d’un  principe de la démocratie. Lequel principe prône la séparation entre les pouvoirs.

les membres du Conseil supérieur de la magistrature.

Dans son ouvrage intitulé  « Vous avez dit démocratie ? »,   le Professeur Kum’a Ndumbe III, historien et politologue  note que « La multiplicité des partis politiques et l’exercice des urnes ne sont pas des éléments suffisants pour qu’il y ait démocratie. Il faut ajouter à ces éléments le contrôle du pouvoir par la population, la transparence, l’obligation de rendre compte, la possibilité d’être sanctionné, donc une séparation réelle des pouvoirs exécutifs et législatifs, et surtout l’indépendance de la magistrature dont les sanctions doivent être suivies d’effets, et ceci sans exception. »

 

Parce qu’il y a incohérence juridique 

 

 Par ailleurs, cet article met en exergue une incohérence juridique dans la Constitution du 18 janvier 1996. En effet, l’article 37 (2) de la Loi fondamentale dispose que « le pouvoir judiciaire est exercé par la Cour suprême, les Cours d’appel, les Tribunaux. Il est indépendant du pouvoir exécutif et législatif. » Or, l’alinéa 3 du même article rame à contre-courant : « le président de la République est garant de l’indépendance du pouvoir judiciaire. Il nomme les magistrats. Il est assisté dans cette mission par le Conseil supérieur de la magistrature qui lui donne son avis sur les propositions de nominations et sur les sanctions disciplinaires concernant les magistrats du siège…» Cette article met en évidence le conflit entre le pouvoir de nomination dont jouit le chef de l’Etat, et sa capacité à garantir l’indépendance réelle de la justice.

Parce que le pouvoir de nomination crée la subordination

L’inféodation du pouvoir judiciaire par le pouvoir exécutif est manifeste. Ce qui n’est pas sans conséquence sur la justice.  D’après Ambroise Louisson Essomba, enseignant de droit à l’Université de Douala,  et analyste politique, « le pouvoir de nomination crée le pouvoir de soumission.» Dès lors, l’indépendance d’esprit du magistrat ne peut s’exercer pleinement dans le cadre d’une affaire au sein de laquelle l’exécutif est partie prenante. Ceci, eu égard à l’influence découlant du pouvoir de nomination dont jouit le président de la République sur les magistrats.  En sa qualité de président du Conseil supérieur de la magistrature, le chef de l’Etat est chargé de l’intégration, des nominations, des mutations des magistrats… Dès lors, rendre une décision à l’encontre de celui-ci reviendrait à “mordre la main de celui qui te nourrit”, comme le dit le dicton.

L’influence du pouvoir exécutif sur l’appareil judiciaire s’est matérialisé une fois de plus le 27 juillet 2020. A travers un décret présidentiel, le chef de l’Etat a procédé à la révocation d’un magistrat. « Monsieur Chi Valentine Bumah (Mle 568 204-W), magistrat de deuxième grade, est pour compter du 15 juillet 2019, date de son abandon de poste, révoqué du corps de la magistrature, avec suppression des droits à pension», lit-t-on dans ledit décret. De quoi mettre les collègues de ce dernier sur le qui-vive. Comme on peut le voir, le patron de l’exécutif, censé être lui aussi justiciable devant le pouvoir judiciaire, est à la fois juge et partie. Une situation aux antipodes de la formule juridique latine “Nemo judex in causa sua” (Nul ne peut être à la fois juge et partie Ndlr).

 

Par ailleurs, le Csm devra s’épancher sur l’épineuse question de la corruption. Une note confidentielle, adressée le 2 août dernier au président de la République décrie les opérations de marchandage de postes. Lesdites opérations auraient eu lieu pendant le pré conseil tenue le jeudi 30 juillet dernier, suite à la convocation le 8 du même mois de la tenue de la session du Csm par Paul Biya .  

 

En outre, les réformes sur les modalités de promotion des magistrats, la tenue  régulière des sessions du Csm ( la dernière session a eu lieu le 7 juin 2017, Ndlr)  méritent une attention particulière.

 

 Initialement prévue se tenir le 6 août de l’année en cours, la session du Conseil supérieur de la magistrature a été renvoyée au 10 du mois en cours. Cette nouvelle session du Csm offre une fois de plus l’occasion à ses membres d’effectuer un nettoyage d’écurie d’Augias des textes de loi sur le statut de la magistrature. Ceci, à l’effet de rétablir la confiance en la justice camerounaise, à l’effet de réconcilier le citoyen avec cette dernière.