Charles Metouck : « Il n'y a pas eu rétention frauduleuse de fonds. »

Charles Metouck : « Il n'y a pas eu rétention frauduleuse de fonds. »
Charles Metouck, ancien directeur général de la Société nationale de Raffinage, entendu à l'audience d'hier à Yaoundé/08/10/2024

L’ancien directeur général de la Société nationale de Raffinage (Sonara) est entendu hier 08 octobre. Devant la Collégialité du Tribunal criminel spécial (Tcs) à Yaoundé, il apporte des explications relatives aux accusations de détournement de biens publics en complicité dont il est l’objet.

Par Florentin Ndatewouo

Me: Licken : 
Vous êtes accusé de complicité de détournement de la somme de la somme de 108 millions 880 mille 623 Fcfa. Le juge d'instruction vous reproche d’avoir, parallèlement au paiement mensuel du personnel de l’entreprise Total, que vous avez émis un ordre de virement en date du 26 janvier 2009, d'un montant de 108 millions, 880 mille Fcfa, au  profit de la société Totale en règlement de la facture numéro 210004815 du 16 janvier 2009. Quelle explication pouvez-vous apporter à ce reproche ?

Charles Metouck :

Cette charge est identique à celle que j'ai défendue au précédemment au point 57 de l'ordonnance de renvoi, sur le paiement parallèle de salaires. Payer un salaire parallèle, signifie qu'un premier salaire a d'abord été payé et ensuite, il a été payé à nouveau. Or, l'ordonnance de renvoi parle d'une facture et donne ses références et le montant, mais ne dit pas comment le paiement parallèle a été effectué. 
Il n'y a donc pas paiement parallèle parce que cette facture a été émise conformément aux dispositions de l'article 04 du contrat d'assistance technique de Total. Cet article s'intitule  « rémunération pour le détachement des personnels », qui dit que le coût réel de ce personnel est déterminé par les charges sociales, les indemnités compensatrices, les charges exceptionnelles, telles les impôts, la santé, la scolarité...
Tout n'est pas rémunération. On confond les factures liées à la gestion du personnel, aux factures de rémunération. Il n'y a eu qu'une seule facture pour les rémunérations. 

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Me Licken :
Vous êtes également accusé de complicité  du détournement de la somme de 14 millions 736 mille 262 Fcfa, en ordonnant le paiement de cette somme sans lien avec le contrat qui lie l’entreprise Total avec la Sonara (Société nationale de raffinage, Ndlr).Cette accusation a-t-elle un fondement ?

Charles Metouck :
Une fois de plus, nous sommes dans le contrat d'assistance technique entre la Sonara et la Totale. Ici, il s'agit de rembourser à Total ce qui convient d'appeler prime de mobilité que la Sonara doit payer à Totale dans le cadre des frais de gestion administratif du personnel, toujours conformément à l'article 04 du contrat.

Me Licken : 
Le point 60 de l’ordonnance de renvoi vous accuse de complicité de détournement de biens publics de la somme de 144 millions 188 mille 116 Fcfa. Il vous est reproché d'avoir permis une rémunération parallèle pour certains personnels de la Totale, à savoir Paul Ruat, Jean Pierre Pellot, Claude Robert Clément, Lassina Touré, Capranti Arnaud, Patrice Venon... Que répondez-vous de ce chef d’accusation ?

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Charles Metouck :
L'ordonnance fait savoir que les expatriés ne font pas partie du personnel de la Sonara. C'est le personnel détaché de Totale au sein de Sonara.
Ils n'ont pas été à la Sonara à la même période. L'ancien représentant de Sonara auprès du juge d'instruction, en la personne de monsieur Tagne Tebou Sévérin, et à la demande du juge d'instruction, avait comparu le 21 avril 2017 et avait été entendu sur le procès-verbal numéro 11. 
Au cours de cette audition, il a versé un certain nombre de pièces certifiées dans le dossier. Parmi les  pièces, il a cité les bulletins de paie de monsieur Paul Ruat, Jean Pierre Perlot, Claude Robert Clément, Lassina Touré, Arnaud Capranti, Patrice Venon...
Si ces expatriés avaient des bulletins de paie, c'est qu'ils étaient de la Sonara. En consultant les organigrammes que j'ai versés au dossier de procédure, de 2007 à 2010, vous verrez que tous ces personnes y figurent avec des postes...
Pour ce qui est en 144 millions FCFA, si on additionne le salaire de tout ce personnel, on obtient ce montant. Ce montant a été versé aux intéressés. Il n'y a donc pas eu de rétention frauduleuse de fonds.

Me Licken :
L’ordonnance de renvoi du juge d’instruction au point 61 vous reproche la complicité du détournement de biens publics de la somme de 805 millions 621 mille 545 Fcfa. L'ordonnance de renvoi se fonde sur l'avenant numéro 03 signé avec l'entreprise Winking. Qu’avez-vous à dire au Tribunal au sujet de cette accusation ?

Charles Metouck :
Sonara se trouvait par moment aux limites des autorisations accordées par les banques d'une part, et d'autres part, aux exigences des fournisseurs pour l'achat du pétrole brut. Ces difficultés de trésorerie que traversait Sonara sont apparues avec acuité dans les années 2008. Ces difficultés étaient dues au manque à gagner non compensé par l'État et occasionné par la participation de Sonara, à la politique du gouvernement au soutien des prix du carburant à la pompe.
En effet, la Sonara achète le brut au prix qui est fixé à l'international. Il ne le vend pas au prix normal pour éviter qu'il y ait une augmentation à la pompe. L'État devait à la Sonara la somme de 347 milliards Fcfa, le montant non compensé au 31 décembre 2012. Quand on retire un tel montant à une entreprise comme la Sonara, elle souffre. Elle est obligée d'aller vers les banquiers, les fournisseurs... Voilà pourquoi, on est allé vers l'avenant. 
Pour éviter les interruptions d'approvisionnement en matière première pour la Sonara, ce qui aurait eu malheureusement, des répercussions sur la fourniture du marché national...
La direction financière de Sonara, outre les banques, entre en négociation avec les fournisseurs, pour obtenir les meilleures conditions de prix et des meilleures conditions financières. Ce n'était pas facile, parce que les négociations portaient sur des dizaines de milliards Fcfa et sur des délais courts. 
On utilise des abus de langage. Lorsque vous allez demander de l'argent en banque, on vous fait des prêts, et on vous facture des intérêts, pareil avec le fournisseur. C'est un abus de langage que de dire que j'ai fait perdre de l'argent à Sonara.
Il se trouve donc qu'en décembre 2009, nous avons passé une commande auprès de la société sur la base d'un contrat de fourniture signé le 28 février 2008. Ce contrat était pluriannuel. A l'article 03 intitulé durée du contrat, il est marqué : « le présent contrat est conclu pour une durée nécessaire à la livraison des quantités spécifiées à l'article 06 ci-dessous. » L'article 06 stipule :" Quantités"  8 millions de barils de pétrole brut. Elles seront livrées de l'ordre de 300 mille à 640 mille barils, selon une périodicité à déterminer par l'acheteur, en fonction de la marche de la raffinerie et en fonction de la disponibilité des quantités... »
L’article 10 du contrat porte sur les conditions de règlement.

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Les parties ont convenu d'un commun accord pour un règlement par lettre de crédit irrévocable. La lettre de crédit est le seul document bancaire qui garantit au fournisseur qu'il sera payé et quelques soit les circonstances. Le deuxième mode de paiement c'est le virement à échéance. Cela veut dire que le fournisseur accorde du crédit à l'acheteur. Le virement à l'échéance est conditionné par le payment undertaking. C'est une lettre de garantie qui est émise par une banque. Il faut que le fournisseur accepte cette lettre de garantie. Pour un ou pour l'autre mode de paiement, il faut apporter des garanties au vendeur. Ces garanties sont fonction de l'état de la trésorerie de l'acheteur, en l'espèce, la Sonara. 
Quand la trésorerie est à l'aise, le banquier émet facilement. Mais quand elle chancelle, le banquier émet la lettre sous conditions. Rien n'est gratuit. 
L'article 10(4) de l'avenant intitulé recherche de financement
Stipule que: « Les parties reconnaissent que le mode de paiement par lettre de crédit, a la préférence du vendeur. Toutefois, compte tenu des coûts élevés des lettres de crédit pratiqués par les banques locales, le vendeur se fait fort d'aider l'acheteur à obtenir à l'international, des lignes de financement pour les garanties des cargaisons à des coûts acceptables. » C'est donc fort de cet article-là, que nous avons agi. En décembre 2009, la demande d’une cargaison de brut que Sonara a passé à Winking souffrait de financement.  Le 07 décembre 2009 à 11h29, monsieur Tchako représentant de Winking nous saisit en date du 09 décembre 2009…Il écrit à nouveau le 07 décembre 2009, « (…)suite à une discussion de ce soir, j'ai rendu compte et la situation est la suivante. Le délai initialement prévu pour la livraison ne sera pas respecté. Winking sera en défaut comme la dernière fois... » 
C'est fort de tous ces échanges que l'avenant numéro 03 confirme mot pour mot ce qui a été dit en 2009.
L'accord commercial peut se faire par courrier. C'est une application des accords obtenus par voie électronique. Les lettres de crédit se paient, les découverts se paient, les intérêts se paient. Qui aurait pu faire ce travail gratuitement au Cameroun ? Cette somme représente les intérêts bancaires en lieux et place des intérêts d'une lettre de crédit irrévocable que la Sonara ne pouvait pas obtenir. Les échanges ont débuté le 07 décembre 2009 et se sont terminés le lendemain à 16h 46.L'avenant a été signé le 09 juin 2010.