Affaire Nguiessap Djambong Lucie Audrey Vs honorable Pierre Sime

Affaire Nguiessap Djambong Lucie Audrey Vs honorable Pierre Sime
Lucie Audrey Nguiessap (à gauche), honorable Pierre Sime (à droite), traduit devant le Tpi de Nkongsamba par son épouse pour les faits présumés de séquestration, menace de mort/Nkongsamba/08/01/2024


Les faits


Depuis le début de l'année 2014, une vidéo fait le tour de toile. Une dame, nommée Nguiessap Djambong Lucie Audrey épouse Sime formule un ensemble de récriminations à l'égard de son époux, l'honorable Pierre Sime. Renfermée dans son domicile, elle dit être séquestrée et  privée d'électricité. Le domicile à partir duquelle la vidéo est tournée se trouve plongé dans le noir.

 
Dans cette vidéo, elle fait le tour du propriétaire. Lucie Audrey présente  sa cuisine. Ici, les ustensibles sont remplis d'aliments en état de décomposition. Les denrées contenues dans le réfrigérateur sont méconnaissables. La moisissure y  a fait son nid.  
Dame Nguiessap Djambong Lucie Audrey épouse Sime dit être privée de nourriture. Elle présente les épluchures de cannes à sucre qui lui sert désormais d'aliment. 


Lucie Audrey réside dans la ville de Nkongsamba, département du Moungo, région du Littoral. Elle affirme être l'objet de maltraitance  depuis le 09 octobre 2023. Cette situation est consécutive à un conflit qui l'oppose à son époux:"Il y a eu un problème d'01 millions 500 Fcfa qu'il m'a accusée d'avoir volé et après, on s'est arrangé, on s'est tout dit, et les problèmes sont passés. Il a voyagé pour les Etats-Unis. Jusqu'aujourd'hui, je n'ai pas de ses nouvelles. J'appelle, il ne prend pas", décrit-elle au micro des reporters de la chaine de télévision Equinoxe.

Me Hippolite Meli, Avocat de dame Nguiessap Djambong Lucie saisit madame la présidente du Tribunal de première instance de Nkongsamba

d'une "Requête aux fins d'engagement préventif/09/01/2024


Le 08 janvier 2024, le Commissaire du gouvernement près le Tribunal militaire de Nkongsamba est saisi d'une plainte. Agissant pour le compte de sa cliente, Lucie Audrey épouse Sime, Me Hypollite Meli Tiakouang attrait  le Commandant de Brigade de Nkongsamba, Olivier Renaud Dzama Onana, ainsi que des éléments de son unité. 
A cette plainte, s'ajoute une lettre adressée au ministre délégué à la Présidence, chargé de la Défense. Cette correspondance a pour objet:"Demande d'une enquête judiciaire militaire pour des allégations de torture, de traitement inhumain et dégradant (infractions aux règles du droit international) et autres infractions impliquant les éléments et le Commandant de Brigade de la Gendarmerie de Nkongsamba/Littoral."

 
Dans la même perspective, la défense de dame Nguiessap Djambong Lucie saisit madame la présidente du Tribunal de première instance (Tpi) de Nkongsamba. A travers une "Requête aux fins d'engagement préventif, en date du 09 janvier 2024", le collectif d'Avocat en charge des intérêts  de la demanderesse fait savoir que "Depuis le 09 octobre 2023, elle (Lucie Audrey, Ndlr) fait l'objet d'actes de violences systématiques, de menaces de mort, de séquestration, de traitement inhumain et dégradant..." Peut-on lire dans cette correspondance.  


Après avoir véçu en concubinage avec monsieur Sime Pierre durant 03 ans, dame Nguiessap Djambong Lucie Audrey épouse Sime est devenue son épouse le 17 avril 2021. Ainsi, l'atteste l'acte de mariage N°2021/LT/3701/M0034 établi par l'officier d'Etat civil de la Mairie de Nkongsamba 1.

Notre analyse juridique 

Cette affaire nous amène à faire une analyse juridique. Notre analyse s'intéresse principalement à trois auteurs présumés, à savoir:
1) L'honorable Pierre Sime;
2) Le Commandant de Brigade de Nkongsamba, Olivier Renaud Dzama Onana;
3) Les éléments placés sous l'autorité du Commandant de Brigade de Nkongsamba, Olivier Renaud Dzama Onana, en l'occurrence, le gendarme intervenant dans une des vidéos en circulation sur la toile.

 
Quels sont les faits reprochés aux auteurs présumés?
Dans la plainte adressée au  Commissaire du gouvernement près le Tribunal militaire de Nkongsamba le 08 janvier 2024, les Avocats de Lucie Audrey parlent de "séquestration arbitraire, suivi des violences et d'actes de torture, violation de domicile, abus de fonction, coalition avec des autorités civiles contre les lois, violation de consigne..."


  La "Requête aux fins d'engagement préventif, en date du 09 janvier 2024 dénonce quant à elle, les "actes de violences systématiques, de menaces de mort, de séquestration, de traitement inhumain et dégradant". 

ETUDE DE CAS

Cas de l'honorable Pierre Sime
Ce dernier est visé par la "Requête aux fins d'engagement préventif. 
L'honorable Pierre Sime est député de la circonscription du Moungo-Nord, dans la région du Littoral. Il est membre de la Commission des Affaires étrangères à l'Assemblée nationale.


En sa qualité de député, l'honorable Pierre Sime bénéficie de l'immunité parlementaire. L'immunité parlementaire trouve son fondement juridique dans l'ordonnance N°72/12 du 26 août 1972. Aux termes de celle-ci, "aucun membre du Parlement ne peut être poursuivi, recherché ou arrêté, détenu ou jugé à l'occasion des opinions ou votes émis par lui à l'occasion de ses fonctions..." Bien plus, "Aucun membre de l'Assemblée ne peut, pendant la durée des sessions, être poursuivi ou arrêté en matière criminelle ou correctionnelle sans l'autorisation préalable de l'Assemblée dont il fait partie..."


En outre, l'ordonnance sus-évoqué précise que "La poursuite d'un membre de l'Assemblée est suspendue si l'Assemblée le requiert". 
  La qualité de député dont bénéficie l'honorable Pierre Sime constitue donc un obstacle à la mise en mouvement de l'action publique.
 Pour autant, devrait-on comprendre par là que, du fait de son statut d'élu de la Nation, sieur Sime ne peut être traduit devant les juridictions pour répondre de ses actes? Que nenni!
L'honorable Pierre Sime peut faire l'objet de poursuites judiciaires, notamment en cas de flagrant délit. 


En l'espèce, y-a-t-il eu flagrance? Pour répondre à cette question, nous nous référons à la loi. L'article 103 (1)  de la loi du 27 juillet 2005 portant Code de procédure pénale dispose :"Est qualifié crime ou délit flagrant, le crime ou le délit qui se commet actuellement ou qui vient de se commettre." L'alinéa  (2c)  du même article poursuit: "Il y a également flagrance lorsqu'une personne requiert le Procureur de la République ou un officier de police judiciaire de constater un crime ou un délit."
En l'occurrence, dans l'une des vidéos amateurs, Lucie Audrey  fait état des privations dont elle est l'objet. Elle précise la date du 06 janvier de l'année en cours.

De plus, dans la "Requête aux fins d'engagement préventif, en date du 09 janvier 2024", les Avocats de la plaignante dénoncent les actes de violence et note que la situation a cours depuis le 09 octobre 2023. Ces éléments d'information permettent de constater que les faits présumées, reprochées à l'honorable Pierre Sime, se commettent "actuellement", ou ont été commis dans un temps voisin, comme le prévoit les dispositions du code de procédure pénale cité supra. Dès lors, l'on est en situation de flagrant délit.

Par conséquent, l'honorable Pierre Sime est appelé à répondre des faits présumés qui lui sont imputés, devant les juridictions. A cet effet, le Magistrat du Parquet en charge des poursuites ne saurait tomber sous le coup des dispositions de l'article 127 du code pénal. Lesquels sanctionnent les empiètements du judiciaire sur certaines immunités.

Honorable Pierre Sime, député du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), et membre de la Commission des affaires étrangères

à l'Asssemblée nationale, accusé de torture et de menace de mort par son épouse, Lucie Audrey à Nkongsamba/08/01/2024


Il est reproché à l'honorable Pierre Sime, les faits présumés de torture, de séquestration... La torture est définie à l'article 277-3 (5) de la loi du 12 juillet 2016, portant Code pénal.  "Le terme "torture" désigne tout acte par lequel une douleur ou des souffrances aigues, physiques, mentales ou morales, sont intentionnellement infligées à une personne par un fonctionnaire, une autorité traditionnelle ou toute personne agissant à titre officiel ou à son instigation ou avec son consentement express ou tacite, aux fins notamment d'obtenir d'elle ou d'une tierce personne des renseignements ou des aveux, de la punir d'un acte qu'elle ou une tierce personne a commis ou est soupçonnée d'avoir commis, de l'intimider ou de faire pression sur elle ou d'intimider ou faire pression sur une tierce personne, ou pour tout autre motif fondé sur une forme discrimination, quelle qu'elle soit."


Quid de la séquestration? Aux termes des dispositions de l'article 291(1) du code pénal, "Est puni d'un emprisonnement de cinq (05) à dix (10) ans et d'une amende de vingt mille (20 000) à un (01) millions Fcfa, celui qui, de quelque manière que ce soit, prive autrui de sa liberté." L'alinéa (2) de cet article précise que la peine est un emprisonnement de dix (10) à vingt (20) ans dans l'un des cas suivants:
"a) si la privation de liberté dure plus d'un (01) mois;
b)Si elle est accompagnée de sévices corporels ou moraux. 
c) Si l'arrestation est effectuée soit au vu d'un faux ordre de l'autorité publique, soit avec port illégal d'uniforme, soit sous une fausse qualité."


Il convient de noter que la procédure judiciaire engagée contre l'honorable Pierre Sime n'est pas à l'abri des goulots d'étranglement. En effet, "lorsqu'un député est poursuivi, le Procureur de la République doit toujours rendre compte verbalement et par écrit, et demander, selon le cas la levée de l'immunité parlementaire." Ainsi dispose l'ordonnance N°72/12 du 26 août 1972. 


Cette situation est renforcée par la circulaire du ministre de la Justice  du 11 juin 1962, sur l'obligation de rendre compte:"Dans l'intérêt d'une meilleure coordination de l'action publique et pour me mettre à même de vous donner toutes les instructions quant aux réquisitions qu'ils me paraîtra opportun de vous voir développer, je vous serai  obligé, de bien vouloir me rendre compte à l'avenir, de toute affaire qui vous paraîtrait présenter quelque importance. Il s'agit notamment des affaires:
qui mettent en cause:
-Les parlementaires, les anciens parlementaires..."
L'obligation de rendre compte dont il est question est un corrolaire du principe de la subordination hiérarchique, caractéristique du Ministère public. Bien que légale, elle est de nature à créer de blocages, ou des lenteurs dans le cadre de cette procédure. Ceci, dans un  contexte où le trafic d'influence, la pratique de la corruption sont fréquemment décriés...

Cas du  Commandant de Brigade de Nkongsamba, Olivier Renaud Dzama Onana

 
 La responsabilité du Commandant de Brigade de Nkongsamba, Olivier Renaud Dzama Onana est susceptible d'être engagée aussi bien sur le plan civil que pénal. Au plan civil, l'article 1242 du code civil nous sert de repère:"On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde." 
Ici, il convient de noter que des éléments placés sous l'autorité du commandant de Brigade ont procédé à l'interdiction des entrées et sorties au domicile de Lucie Audrey. Ce faisant, ceux-ci ont violé le droit d'aller et de venir de la plaignante, ainsi que les dispositions de l'article 291 du code pénal. Cette entorse à la loi interpelle le Cammandant à qui ceux-ci reçoivent, ou sont censés recevoir  des directives.


Sur le plan pénal, la responsabilité du Commandant de Brigade de Nkongsamba, Olivier Renaud Dzama Onana tire sa source des dispositions de l'article 74 du code pénal:"Est pénalement responsable, celui qui, volontairement, commet les faits caractérisant les éléments constitutifs d'une infraction avec l'intention que ces faits aient pour conséquence la réalisation de l'infraction." 


La présence au domicile de Lucie Audrey, d'un gendarme interdisant, les entrées et sorties,  laisse penser que celui-ci aurait été missionné par son supérieur hiérarchique, et aurait de ce fait agi conformément à ses directives. De ce point de vue, le commandant de Brigade peut faire l'objet de poursuites judiciaires en tant que complice des faits reprochés à ses subordonnés. Aux termes des dispositions de l'article 97 du code pénal:"(1) Est complice, d'une infraction qualifiée crime ou délit:
Celui qui provoque, de quelque manière que ce soit, la commission de l'infraction ou donne des instructions pour la commettre; celui qui aide ou facilite la préparation ou la consommation de l'infraction."
Tout comme l'honorable Pierre Sime, le Commandant de Brigade de Nkongsamba, Olivier Renaud Dzama Onana est poursuivi pour les faits présumés  de "menaces de mort, de séquestration". Cependant, la plainte déposée par les Avocats de Lucie Audrey ajoute les infractions présumées de violation de domicile, abus de fonction, violation de consigne... 
La violation de domicile est une infraction prévue et reprimée par l'article 299 du Code pénal:"(1)Est puni d'un emprisonnement de dix (10) jours à un (01) an et d'une amende de cinq mille (5000) à cinquante mille (50 000) Fcfa ou de l'une de ces deux peines seulement celui qui s'introduit ou se maintient dans le domicile d'autrui contre son gré. (2) Les peines prévues à l'alinéa 1 ci-dessus sont doublées si l'infraction  est commise pendant la nuit ou à l'aide des menaces, violences ou voies de fait. "


 Cas des élements de l'unité de Brigade de Nkongsamba, en l'occurence, le gendarme intervenant dans une des vidéos en circulation sur la toile.

 
Dans une des vidéos ayant circulé sur la toile, un gendarme reconnaissable à son uniforme, affirme avoir reçu des instructions visant à interdire l'accès au domicile de Lucie Audrey:"On m'a donné des ordres. Personne n'entre, personne ne sort. Tu n'as rien à me dire", va-t-il marteler au cours d'une joute verbale avec la maitresse de maison, coincée à son domicile.  


Ce gendarme, ainsi que ses collègues qui auraient agi suivant les "ordres" de leur supérieur hiérarchique, ne saurait invoquer la crainte revérentielle, pour justifier les actes à lui imputés. Certes, l'article 82(b) du code pénal dispose que "L'excuse atténuante est applicable:aux salariés, employés, fonctionnaires ayant agi sous la contrainte de leurs chefs ou patrons." 
Dans le même sillage, l'article 83 traite de l'obéissance à l'autorité légale:"(1) La responsabilité pénale ne peut résulter d'un acte accompli sur les ordres d'une autorité compétente à laquelle l'obéissance est légitimement due."Toutefois, l'alinéa 2 de cet article relève une nuance: "(2) Les dispositions de l'alinéa 1 ci-dessus ne sont toutefois pas applicables si l'ordre est manifestement illégitime." 


Bien plus, s'agissant de l'infraction de torture,  l'aliéna (7) de l'article 277-3 met en garde: "L'ordre d'un supérieur ou d'une autorité publique ne peut être invoqué pour justifier la torture." 


Il convient de noter que les présumés auteurs des infractions évoquées supra sont des fonctionnaires au sens de l'article 131 du code pénal. Cette qualité constitue une circonstance aggravante, considération prise des dispositions de l'article 89 de cet instrument législatif. 
Notre analyse est fondée sur les faits dont nous avons eu connaissance. Nous ne disposons pas encore  de la version des faits des personnes poursuivies. Nous rappelons également que ceux-ci bénéficient de la présomption d'innoncence. 

Par Florentin Ndatewouo