Décès de Brigitte Ntsama : Devrait-on placer Francis Nganou en détention provisoire ?

Décès de Brigitte Ntsama : Devrait-on placer Francis Nganou en détention provisoire ?

Rappel de ce qui tient lieu des faits

Le 27 avril de l'année en cours, le champion du monde des poids lourds MMA (MIXED MARTIAL ARTS, Ndlr), Francis Nganou aurait, au cours  de son passage au quartier omnisport Yaoundé, percuté une jeune dame. Par la suite, Manuella Brigitte Ntsama aurait été transportée d’urgence à l'hôpital général de Yaoundé, à l’effet d’y bénéficier des soins après une fracture au bras notamment. Des sources indiquent que Francis Nganou aurait pris en charge les frais médicaux.
Seulement, quelques jours plus tard, la jeune dame rend l’âme.  Depuis, une polémique au sujet de cette actualité a cours, notamment sur la toile. A cet effet, une frange de l’opinion milite en faveur de l’arrestation et la détention provisoire de Francis Nganou. De l’avis de cette frange de l’opinion, le « Prédator » n’ «est pas au-dessus de la loi. » 
A l’opposé, une seconde opinion soutient le droit de Francis Nganou à la présomption d’innocence. Elle s’insurge contre des conclusions hâtives sur la culpabilité de celui-ci. Face à cette controverse, nous vous proposons notre analyse juridique. 

Analyse juridique

D’entrée de jeu, il convient de noter qu’en tant que citoyen, Francis Nganou est justiciable devant les juridictions, au même titre que tout individu lambda. Ce principe général du droit trouve son fondement juridique dans les dispositions de l’article 1-1 de la loi du 12 juillet 2016 portant code pénal camerounais : « La loi pénale s’impose à tous. » 


Toutefois, Francis Nganou jouit par la même occasion, du droit à la présomption d’innocence. Le droit à la présomption d’innocence est consacré par le préambule de la Constitution du 18 janvier 1996. Ce droit est également prévu par les dispositions de l’article 08 de la loi du 27 juillet 2005 portant Code de procédure pénale : «  Toute personne suspectée d’avoir commis une infraction est présumée innocente, jusqu’à ce que la preuve de sa culpabilité ait été légalement établie au cours d’un Procès où toutes les garanties nécessaires à sa défense lui seront assurées. » Et l’alinéa 02 du même article de préciser : « La présomption d’innocence s’applique au suspect, à l’inculpé, au prévenu et à l’accusé. »

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De l’ouverture éventuelle d’une enquête.

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Le second point de notre analyse porte sur la controverse autour de l’ouverture d’une enquête obligatoire. Me Ntimbane Bomo, l’un des tenants de cette posture s’oppose par ailleurs à l’hypothèse d’une quelconque transaction, considération prise de ce qu’il s’agit d’une affaire relevant du pénal…
Nous souscrivons sans réserve à la problématique liée à l’ouverture d’une enquête. En effet, une enquête éventuelle offrirait un cadre d’expression à Francis Nganou. Ainsi, la version des faits présentée par le mis en cause permettrait de se faire une idée plus ou moins approfondie des circonstances de l’accident, ainsi que le décès de la jeune dame, survenu quelques jours plus tard. Des données qui aideraient à n’en point douter-dans le processus de recherche-en vue de la manifestation de la vérité. 

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De l’arrestation et la détention provisoire ?

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Au sujet de l’arrestation et la détention provisoire, telle que revendiquée par une frange de l’opinion, il convient de noter que cette démarche pose d’emblée une difficulté. En effet, quelle autorité judiciaire serait compétente pour décerner un mandat de détention provisoire à l’encontre de Francis Nganou ? Est-ce le Procureur de la République, ou plutôt le Juge d’instruction ? La réponse à cette question vaut son pesant d’or.
 Selon les théoriciens du droit pénal, « les actes de procédure sont privés de valeur juridique, soit quand il manque chez celui qui les accomplit, la qualité ou le pouvoir nécessaire, soit quand une formalité essentielle a été omise ou n’a pas été faite dans les conditions imposées par la loi. » Et Garraud de poursuivre : « l’absence de valeur d’un acte de procédure constitue la nullité de l’acte, ou son inefficacité. »  
Ainsi, il n’est pas superflu d’indiquer qu’en l’état de la législation pénale camerounaise, la situation de flagrance seule donne compétence au Procureur de la République, pour décerner un mandat de détention provisoire.


Hormis cette circonstance, l’émission du mandat de détention provisoire relève de l’office traditionnel exclusif du Juge d’instruction. D’où la question de savoir si le cas en examen correspond véritablement à la situation de flagrant délit : « Est qualifié crime ou délit flagrant, le crime ou le délit qui se commet actuellement ou qui vient de se commettre. (2) Il y a aussi crime ou délit flagrant lorsque: a) après la commission de l'infraction, la personne est poursuivie par la clameur publique ;
b) dans un temps très voisin de la commission de l'infraction, le suspect est trouvé en possession d'un objet ou présente une trace où indice laissant penser qu'il a participé à la commission du crime ou du délit(...)

 
Le point c) de article indiqu'« Il y a également flagrance lorsqu'une personne requiert le Procureur de la République ou un officier de police judiciaire de constater un crime ou un délit commis dans une maison qu'elle occupe ou dont elle assure la surveillance. » Ainsi dispose l’article 103 du Code de procédure pénale.
Ici, la circonstance évoquée au point b) alinéa (01) retient notre attention. Peut-on judicieusement parler de « temps très voisin », entre le moment où survient l’accident, le transport de la victime à l’hôpital, l’administration des soins, et enfin, l’issue fatale ? 
Seule une enquête permettrait de résoudre cette équation. 
Bien plus, en dépit de cette incertitude, dans l’hypothèse où un temps plus ou moins étendu se serait écoulé entre l’accident et le décès de la jeune Brigitte, seul le juge d’instruction aurait compétence pour délivrer, le cas échéant, un mandat de détention provisoire à l’encontre de sieur Nganou. 

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Et de l’opportunité des poursuites…

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Toujours dans le sillage de la polémique autour du mandat de détention provisoire, nous tenons à convoquer la notion de l’opportunité des poursuites. Ce domaine réservé de l’autorité judiciaire, notamment celle en charge de la mise en mouvement et de l’exercice de l’action publique, permet aux Magistrats du Parquet, d’effectuer un travail d’analyse préalable. 
Il est question ici d’examiner les faits en cause, avant de décider, compte tenu des circonstances de commission éventuelles de l’infraction, d’engager ou non des poursuites judiciaires contre la personne de Francis Nganou. 


A titre de rappel, la détention provisoire vise entre autres, à prémunir la société contre les dérives supplémentaires d’un justiciable. De plus, elle permet de garantir la sécurité des éléments de preuve contre la destruction potentielle d’un mis en cause ; la limitation des risques de fuite… La détention provisoire vise également la prévention contre le risque de subornation de témoin. 
A cet effet, l’opportunité de poursuite offre la possibilité aux autorités judiciaires qui en sont dépositaires, d’analyser le profil du mis en cause, en adéquation avec les faits pour lesquels il répond devant les juridictions. En l’espèce, l’on pourrait se livrer à un questionnement : sieur Nganou présente-t-il des risques de fuite ? Nourrit-il l’intention de se soustrait des poursuites initiées par l’autorité judiciaire ? Présente-t-il des garanties de représentation devant ceux-ci ? Représente-t-il un danger pour l’ordre public ? A ce questionnement, nous répondons par la négative.

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Et de la possibilité d’une transaction éventuelle…

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En outre, Me Ntimbane Bomo s’oppose à une quelconque transaction entre les parties. Ceci, étant donné qu’il s’agit d’une affaire relevant de la matière pénale, soutient-il. 
Nous avons une posture divergente sur cette question. Bien que nous soyons en matière pénale, la possibilité de procéder à une transaction n’est pas exclue par la législation. En effet, l’article 62 du Code de procédure pénale énonce les modalités d’extinction de l’action publique. La transaction figure au point f de ce dispositif normatif : « L'action publique s'éteint par : 
f) La transaction lorsque la loi le prévoit expressément. » A cette possibilité, s’ajoute le retrait de la plainte, «  lorsque celle-ci est la condition de la mise en mouvement de l'action publique(…) » L’alinéa (02) du même article de renchérir : «  Les dispositions de l'alinéa (1) (h) ci-dessus ne sont applicables que si : 
- Le désistement ou le retrait de la plainte est volontaire;

- II n'a pas encore été statué au fond; 
-les faits ne portent atteinte ni à l'ordre public ni aux bonnes mœurs; 
- En cas de pluralité de parties civiles, toutes se désistent ou retirent leur plainte; 
- Le désistement ou le retrait de la plainte n'est pas suscité par la violence, le dol ou la fraude. »


Il convient de noter qu’en dépit de cette possibilité, l’autorité judiciaire, juge de l’action publique peut tout de même maintenir les poursuites. Nous avons eu connaissance d’une affaire pendante en instance il y a quatre ans de cela au Palais de Justice de Yaoundé Centre-administrative. 

Cette affaire portait sur le décès d’un Magistrat, survenu au lieudit vallée Nlongkak, à la suite d’un accident de circulation. Les ayants-droit du défunt se sont désistés. Toutefois, le Procureur de la République avait tenu à informer la défense de son pouvoir de poursuivre l’action publique, en dépit du désistement de la demanderesse. 
Pour comprendre cette posture du Procureur de la République, il convient de rappeler que le représentant du Ministère public défend les intérêts collectifs. A cet effet, il veille au respect de la loi. Il est donc de son devoir, de s’assurer que cette loi, en tant qu’expression de la volonté générale soit appliquée, notamment lorsqu’elle se trouve transgressée par un membre de la communauté. L’objectif poursuivi ici est de maintenir l’harmonie au sein de la communauté qu’elle régit. 

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Qui du principe de l’équité et de l’égalité ?

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L’emballement d’une faction de l’opinion, au sujet de ce qui convient désormais d’appeler "l’affaire Nganou" porte également sur la notion de l’équité et de l’égalité. Nombre d’analystes, lanceurs d’alerte, soutiennent la thèse de l’arrestation et la détention de Francis Nganou, au nom du principe de l’égalité de tous devant la loi. 
De l’avis des tenants de cette thèse, la réputation de la star planétaire ne le met pas à l’abri des poursuites judiciaires. Dès lors, cette frange de l’opinion redoute le non-respect du principe de l’égalité de tous devant la loi par l’autorité judiciaire. 

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L’on peut de ce fait interroger la source de cette méfiance à l’égard de l’institution judiciaire. A cet effet, il serait judicieux de noter que, la violation du principe de l’équité et de l’égalité de tous devant la loi est monnaie courante au Cameroun. La réputation, le statut social de certains justiciables les hissent très souvent, au rang de privilégiés ! Ce qui rend difficile un traitement équitable des parties, renforçant ainsi, le sentiment d’injustice et de méfiance à l’égard de l’institution judiciaire. 
Toutefois, en dépit de cette réalité, il convient de souligner qu’au même titre que l’individu lambda, Francis Nganou dispose des droits. Certes, il n’«est pas au-dessus des lois». Pour autant,  il n’en n’est pas en dessous non plus ! Par conséquent, l’on ne saurait lui dénier, les différentes possibilités qu’offre la législation pénale à tout justiciable, en raison de son statut social. 
Dans cette optique, Francis Nganou jouit lui aussi du droit au respect du principe de l’individualisation. Ce principe commande de tenir compte des faits en cause, mais aussi, de la spécificité des circonstances de leur commission, ainsi que de la personnalité du mis en cause entre autres, dans le cadre de l’instruction d’une affaire. L’équité étant, la logique commande de redouter l’administration d’une justice à géométrie variable, autant pour l’accusation qu’à l’égard de la défense… Nous avons dit !

Par Florentin Ndatewouo, chroniqueur judiciaire.