Prorogation du mandat des députés : Maurice Kamto et Cabral Libii sont-ils désormais hors de course pour la prochaine présidentielle ?

Prorogation du mandat des députés : Maurice Kamto et Cabral Libii sont-ils désormais hors de course pour la prochaine présidentielle ?

Par Florentin Ndatewouo 

Prévisible ! Le dépôt hier samedi 06 juillet du projet de loi portant prorogation du mandat des Députés à l’Assemblée nationale était envisagé par nombre d’observateurs de la scène politique camerounaise.  Ce projet de texte rallonge pour une durée d’un an, le mandat des députés. 
Le dépôt de cet instrument juridique sur la table des députés bouleverse ainsi le calendrier électoral initial. 
En effet, les députés sont élus au suffrage universel direct pour un mandat de 05 ans. Aux termes des dispositions de l’article 148 (3) de la loi du 19 avril 2012, modifiée et complétée par la loi du 21 décembre 2012 portant Code électoral, « l’Assemblée Nationale se renouvelle intégralement tous les cinq (05) ans.»  


En rappel, l’organisation de la toute dernière élection législative au Cameroun date du 09 février 2020. Les députés de la 10ème législature sont entrés en fonction au mois de mars de la même année, conformément aux dispositions de l’aliéna (4) de l’article 148 sus-évoqué : « Le mandat des députés commence le jour de l’ouverture de la session ordinaire de plein droit qui suit le scrutin. »
 Dans le même ordre d’idées, l’article 03 (02) de la loi du 09 septembre 2014 portant règlement intérieure de l’Assemblée nationale énonce : « Au début de chaque législature, l’Assemblée Nationale se réunit de plein droit en session ordinaire, le deuxième mardi suivant la proclamation des résultats des élections législatives par le Conseil Constitutionnel. » 

Le mandat en cours des députés de la 10ème législature était prévu s’achever au mois de novembre 2025. L’alinéa (03) de l’article 148 du Code électoral prévoit la tenue d’une nouvelle élection au plus tard quarante (40) jours avant l’expiration du mandat des députés. Ce qui en principe, conduit l‘organisation de nouvelles élections durant la période allant du 09 février au 21 mars 2025, conformément au délai de 40 jours prescrit à l’article 148(3) cité supra.  

Hon. Jean Michel Nintcheu, président du Front pour la changement du Cameroun (Fcc)


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« Si l'élection couplée des députés et des Conseillers Municipaux avait lieu à bonne date, en 2025, soit en février, elle serait distante de l'élection présidentielle d'octobre 2025 de huit (08) mois. En la prorogeant d'un an, c'est à dire jusqu'au 30 mars 2026, le délai qui va désormais la séparer de l'élection présidentielle d'octobre 2025 ne serait que de quatre (04) mois »
_______L’honorable Jean Michel Nintcheu____

Par contre, avec la prorogation en vue du mandat des députés, les consultations électorales prochaines se tiendront certes dans le même intervalle, mais plutôt courant 2026. « Si l'élection couplée des députés et des Conseillers Municipaux avait lieu à bonne date, en 2025, soit en février, elle serait distante de l'élection présidentielle d'octobre 2025 de huit (08) mois. En la prorogeant d'un an, c'est à dire jusqu'au 30 mars 2026, le délai qui va désormais la séparer de l'élection présidentielle d'octobre 2025 ne serait que de quatre (04) mois », prévient l’honorable Jean Michel Nintcheu

Le dépôt hier 06 juillet du projet de loi portant prorogation du mandat des députés conduit à s’interroger sur le sort des Conseillers municipaux. Le texte en examen au Parlement limite la prorogation au mandat des députés. Or, il convient de noter que dans la pratique, l’organisation des élections législatives est couplée aux élections municipales.
Dès lors, l’on peut logiquement  entrevoir deux hypothèses. La première consisterait désormais à procéder à l’organisation distincte de ces deux consultations électorales. Dans ce cas, le motif d’ordre financier, matériel, et humain, qui sert en partie d’élément justificatif au projet portant prorogation du mandat des députés perd de sa consistance.   
Quid de la seconde hypothèse ? Celle-ci pencherait sur l’extension un recours à la prorogation.  
 
En effet, les Conseillers municipaux sont élus au suffrage universel direct pour un mandat de cinq ans. « Les Conseils municipaux sont renouvelés intégralement tous les cinq (05) ans à la même date. » Ainsi dispose l’article 170 (01) du Code électoral. Il convient de noter que l’alinéa (02) du même article offre la latitude au président de la République, de procéder à la modification de la durée du mandat des Conseillers municipaux : « Toutefois, en cas de nécessité, le Président de la République peut, par décret, proroger ou abréger le mandat des conseillers municipaux pour une durée n’excédant pas dix-huit (18) mois, après consultation du Gouvernement et du Bureau du Sénat. » Il n’est donc pas exclut d’envisager la prorogation du mandat des Conseillers municipaux. Ce, à l’effet de favoriser la concomitance des prochaines élections municipales et législatives.
 

  Me Christian Ntimbane Bomo, responsable de la plateforme « Société Civile des Réconciliateurs»

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« Il s'agit d'une flagrante atteinte à la constitution camerounaise, en ce qu'une motivation de prorogation de mandat de députés fondée sur un prétendu souci d'allégement  du calendrier électoral ne constitue pas une circonstance exceptionnelle ou une des circonstances qui  justifierait cette mesure exceptionnelle, tel que prévu par la constitution», 
__________Me Christian Ntimbane__________

Il convient de souligner que, le projet de loi portant prorogation de la durée du mandat des députés à l’Assemblée nationale du Cameroun est l’objet de controverses. Le sentiment d’indignation est partagé aussi bien au sein de l’opinion publique que de la classe politique. « Il s'agit d'une flagrante atteinte à la constitution camerounaise, en ce qu'une motivation de prorogation de mandat de députés fondée sur un prétendu souci d'allégement  du calendrier électoral ne constitue pas une circonstance exceptionnelle ou une des circonstances qui  justifierait cette mesure exceptionnelle, tel que prévu par la constitution», regrette Me Christian Ntimbane Bomo. Ce candidat déclaré à l’élection présidentielle souligne : « L'allégement du calendrier, pour éviter la tenue de 03 élections en 2025 est un motif fallacieux dans la mesure où, depuis 07 ans le calendrier électoral est bel et bien connu. » En conséquence, le responsable de la plateforme « Société Civile des Réconciliateurs » balaie d’un revers de la main, les motifs d’ordre financier, allégué par les auteurs du projet de loi querellé : « Aussi les raisons budgétaires ne sauraient être évoquées. Le budget de l'année 2025 n'ayant pas encore été débattu. Il le sera en décembre 2024. »

Cette analyse rencontre l’assentiment de l’honorable Jean Michel Nintcheu : « (…) Depuis l'élection présidentielle de 2018 et les élections législatives et municipales de 2020, le pouvoir-Rdpc sait parfaitement que toutes les élections invoquées auront lieu en 2025. Il avait l'obligation juridique et le devoir politique de prendre toutes les dispositions humaines et financières pour  les organiser, sauf à avouer, comme il le fait piteusement, son incompétence et son incapacité à gérer le pays. »

Dans cette dynamique, le président national du Front pour le Changement du Cameroun (Fcc) y voit une démarche paradoxale du pouvoir exécutif : « En outre, comment dans un pays où les scandales financiers récurrents impliquant des ministres, des directeurs généraux et autres personnalités identifiées sont la norme, et la répression des crimes financiers l’exception, le Gouvernement peut-il  invoquer le coût financier des élections pour accorder douze mois de salaires supplémentaires aux députés d'une Assemblée nationale elle-même rongée par les détournements des fonds publics dénoncés publiquement ? » 

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«La prorogation arbitraire et inconstitutionnelle du mandat des députés n'est donc en fait qu'une grossière manœuvre visant à tenter d'exclure de la course, notre candidat déclaré, le candidat du peuple du Changement et de l'Alternance(…) » 
______L’honorable Jean Michel Nintcheu_____

Pour le coordonnateur par intérim de la plateforme Alliance pour le Changement (Apc), il ne fait l’ombre d’aucun doute. Le dépôt du projet de loi portant prorogation du mandat des députés à l’Assemblée nationale est un coup asséné par l’exécutif, en dessous de la ceinture : «La prorogation arbitraire et inconstitutionnelle du mandat des députés n'est donc en fait qu'une grossière manœuvre visant à tenter d'exclure de la course, notre candidat déclaré, le candidat du peuple du Changement et de l'Alternance. Malheureusement pour le pouvoir, comme annoncé lors de la Convention du Mrc en novembre 2023, Maurice Kamto sera bel et bien candidat au scrutin présidentiel d'octobre 2025. »   

 
Le projet de loi portant prorogation du mandat des députés à l’Assemblée nationale du Cameroun est perçu comme une manœuvre visant à écarter de la course, des candidats de l’opposition aux prochaines élections présidentielles. Il en est ainsi de Maurice Kamto et Cabral Libii. 
En effet, le président du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun (Mrc) n’a pas pris part aux dernières consultations électorales couplées législatives et municipales du 09 février 2020. Pour l’heure, il ne dispose pas d’élus du Mrc au sein des institutions de représentation.

Du côté du Parti camerounais pour la Réconciliation nationale (Pcrn), la course pour la présidentielle n’est non plus un long fleuve tranquille. La qualité de président national actuel dont bénéficie jusqu’à présent, l’honorable Cabral Libii, est l’objet de contestations. L’affaire a été portée à la connaissance du Tribunal de première instance (Tpi) de Kaélé, dans la région de l’Extrême-Nord Cameroun.

Cette situation réduit la marge de manœuvre des candidats déclarés. En rappel, les candidats à l’élection du Président de la République sont tenus de faire une déclaration de candidature revêtue de leur signature légalisée. « (1) Les candidats peuvent être : 
 1°) soit investis par un parti politique ; 
2°) soit indépendants, à condition d’être présentés comme candidat à l’élection du Président de la République par au moins trois cents (300) personnalités originaires de toutes les Régions, à raison de trente (30) par Région et possédant la qualité soit de membre du Parlement ou d’une Chambre Consulaire, soit de Conseiller Régional ou de Conseiller Municipal, soit de Chef Traditionnel de premier degré », dispose l’article 121 du Code électoral. 

Les conditions prévues à l’alinéa (01er) de l’article 121 ci-dessus s’appliquent également aux partis politiques non représentés à l’Assemblée Nationale, au Sénat, dans un Conseil régional ou dans un Conseil municipal. 
Il ressort des dispositions de l’article 121 (01) que le candidat Maurice Kamto et Cabral Libii ne sont encore définitivement écartés de la compétition pour la présidentielle. Ils disposent chacun, du levier des investitures. Lequel a d’ailleurs permis à l’honorable Cabral Libii, de candidater pour les élections présidentielles du 07 octobre 2018, sous la bannière du parti Union nationale pour l’intégration vers la solidarité (Univers) du Pr Prosper Nkou Mvondo. 

La possibilité pour ces leaders politiques de se voir investir par des formations politiques autres que les leurs se trouve d’ailleurs renforcée par les dispositions de l’article 15 de la Constitution. Cet article consacre la nullité du mandat impératif. 
Bien plus, il convient de noter que le mandat des Conseillers Municipaux, ainsi que celui des Conseillers régionaux n’a pas encore été prorogé. Ce qui constitue un pis-aller pour ces candidats menacés.