Coaction de détournement : Pourquoi Amadou Vamoulke et Polycarpe Abah Abah ont-ils été condamnés ?
Il est reproché à l’Ex-directeur général de la CAMROON RADIO TELEVISION (CRTV), d’avoir ordonné le transfert des fonds à hauteur de 594 millions 558 mille Fcfa. Une opération qui, d’après le tribunal, n’aurait pas eu lieu, si le protocole d’accord, à la base des transferts querellés, n’avait pas existé. La création dudit document est attribué à l’ancien directeur des Impôts, plus tard, ministre de l’Economie et des Finances. A l’audience des 20 et 21 décembre de l’année en cours, les accusés ont été condamnés respectivement à 12 et 17 ans d’emprisonnement ferme. Outre le remboursement de la somme de 570 millions Fcfa, la défense est soumise au paiement solidaire de la somme de 47 millions 518 Fcfa, en guise de réparation du préjudice subi par la demanderesse, ainsi que le montant de 32 millions 162 mille Fcfa au titre des dépens.
Par Florentin Ndatewouo
Déception. Le terme suffit-il pour décrire l’état d’esprit qui anime la défense ? « Ce soir, j'ai le sentiment que le droit de la force a vaincu la force du droit. » Confie Amadou Vamoulke, «Regardez vos visages. Est-ce que vous-mêmes croyez en ce que vous lisez ? Etes-vous fier de vous ?» Ainsi, questionne sur fond de réprimande, Polycarpe Abah Abah.
Les accusés s’expriment ainsi après la déclaration de leur culpabilité par la collégialité du Tribunal criminel spécial (Tcs).
Au cours de l’audience des 20 et 21 décembre dernier à Yaoundé, Polycarpe Abah Abah et Amadou Vamoulke sont déclarés coupables des faits de détournement de biens publics en coaction de la somme de 570 millions Fcfa.
L’accusation fait grief à Amadou Vamoulke, ex qualité de directeur général de la CAMEROON RADIO TELEVISION (CRTV), d'avoir ordonné le versement, à un taux de 10%, des recettes de la Redevance audio-visuelle (Rav), dans un compte appartenant à la Mutuelle du personnel des impôts (Mundi).
Polycarpe Abah Abah (à droite), et Amadou Vamoulke (à gauche), accusé de détournement de biens publics en coaction, condamnés respectivement à 17 et 12 ans de prison au Tribunal criminel spécial à Yaoundé, à l'audience/20,21/12/2022
Ledit versement est fait sur la base d’un protocole d’accord, signé entre son prédécesseur, feu Gervais Mendo Ze, et Polycarpe Abah Abah, directeur des Impôts, et plus tard ministre de l’Economie et des Finances. Au total, 10 versements seront effectués dans le compte numéro 470534. Les faits ont lieu durant la période allant du 27 janvier 2005 au 31 décembre 2006.
Au cours des plaidoiries, les Avocats de Polycarpe Abah Abah ont indiqué que le protocole d’accord querellé n’avait pas pris effet. Ils ont invoqué la « caducité » de celui-ci. Un argument qui ne suffit pas à convaincre le tribunal. « Un projet de protocole d'accord ne se présume pas. La caducité évoquée par l'accusé Polycarpe Abah Abah est inopérante. Parler de caducité pour un acte illégal, relève d'un système de défense fantaisiste », observe le tribunal, et de poursuivre : « par sa signature, l’accusé a donné naissance à un protocole d'accord… » Le tribunal souligne que le transfert des fonds à l’initiative d’Amadou Vamoulke n’aurait pas eu lieu si le protocole d’accord décrié n’avait pas existé : « Monsieur Polycarpe Abah Abah aurait dû saisir le Directeur général de la CRTV pour dénoncer cet accord, s'il entendait faire cesser les effets. Il a choisi le mutisme. »
Dans ce sillage, le tribunal fait savoir que la mise en œuvre de l’accord querellé est un acte d’empiètement. Il fait grief à l’accusé Polycarpe Abah Abah de s’être « arrogé » des prérogatives du pouvoir législatif. Un fait prévu et réprimé par l’article 125 de la loi du 12 juillet 2016 portant Code pénal. Cet article dispose : « Est puni d’un emprisonnement de six (06) mois à cinq (05) ans, tout fonctionnaire qui :
a)s’immisce dans l’exercice du pouvoir législatif ;
b)refuse d’exécuter des dispositions législatives. »
Parce que : « Le virement des fonds dans un compte public ou privé, en dehors d'un compte de la CRTV, en plus pour une cause illicite et illégale, est un acte constitutif d'un détournement de biens publics. » Le tribunal
De plus, le tribunal précise qu’aucun chèque et aucun bordereau ne fait allusion à la Direction générale des Impôts. Le président de la collégialité fait savoir que Polycarpe Abah Abah a consigné un chèque de 65 millions Fcfa : « Le virement des fonds dans un compte public ou privé, en dehors d'un compte de la CRTV, en plus pour une cause illicite et illégale, est un acte constitutif d'un détournement de biens publics. »
Quid de l’accusé Amadou Vamoulké ? Le tribunal souligne que, le fait pour ce dernier d’avoir mis un terme aux opérations de transfert de fonds, n’atteste guère de sa bonne foi. Motif ? « L'ignorance de la loi n'exonère pas la responsabilité », considération prise des dispositions de l’article 75 du Code pénal « Amadou Vamoulke n'a pas apporté la preuve d'une force majeure qui l’a emmené à signer des documents en vue de la sortie des fonds », renchérit le tribunal. Ce faisant, le mis en cause « a engagé sa responsabilité personnelle, quelque soit le volume du service… » Le tribunal convoque au soutien de sa déclaration, les dispositions de l’article 99 du code pénal : « (1) Les coauteurs et les complices d’un crime ou d’un délit ou d’une tentative de crime ou de délit sont également responsables de toute autre infraction dont la commission ou la tentative est une conséquence prévisible de l’accord ou de la complicité. »
Parce que « le fait de signer les ordres de paiement juste parce que le prédécesseur l'a fait ainsi, est blâmable. C'est un déficit managérial qui relève d'un suivisme qui a conduit au préjudice de la CRTV. » Le tribunal
Dans la même dynamique, le tribunal rappel : « le fait de signer les ordres de paiement juste parce que le prédécesseur l'a fait ainsi, est blâmable. C'est un déficit managérial qui relève d'un suivisme qui a conduit au préjudice de la CRTV. »
Le tribunal porte la somme de 594 millions 558 mille préalablement donné par l’accusation, à 570 millions.
Sur la base des dispositions des articles 74, 96 et 184 (1a) du code pénal, Amadou Vamoulke et Polycarpe Abah Abah sont déclarés coupable du détournement de biens publics en coaction de la somme de 570 millions Fcfa. Amadou Vamoulke et Polycarpe Abah Abah écopent respectivement les peines de 12 et 17 ans d’emprisonnement ferme. Les déchéances prévues à l’article 30 du code pénal sont prononcées à leur encontre pour la durée équivalente à la peine d’emprisonnement.
Le tribunal reçoit la demanderesse en sa constitution de partie civile. A cet effet, il inflige à la défense des peines pécuniaires. Amadou Vamoulke et Polycarpe Abah Abah sont condamnés au paiement de la somme de 570 millions Fcfa, ainsi que la somme de 32 millions 162 mille 864 Fcfa.
Outre l’infraction de détournement de biens publics en coaction, Amadou Vamoulke comparait devant le Tcs pour répondre des faits de détournement de biens publics. A cet effet, l’accusé est également déclaré coupable du détournement de la somme totale de 47 millions 710. Ce montant comprend, entre autres, le paiement « indu », à hauteur de 07 millions 212 mille 702 Fcfa, une somme représentant le complément de salaire, versé aux personnels du Ministère des Finances nommés à la CRTV. A cela s’ajoute le montant de 16 millions 848 mille Fcfa, représentant les frais de congés pour l'année 2006 ; la somme d’01 millions 200 Fcfa, pour le compte des indemnités de transport.
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Siège de la CAMEROON RADIO TELEVISION (CRTV)situé à Mballa II Yaoundé
Par ailleurs, le tribunal déclare Amadou Vamoulké non coupable du détournement de biens publics de la somme de 03 milliards Fcfa par le mécanisme du gonflement de la Redevance audiovisuelle, telle que relevé par l’accusation.
Absente à l’audience du verdict les 20 et 21 décembre dernier, Antoinette Menyeng Meyoa, épouse Essomba a été acquittée. L’ancienne directrice de la CAMEROON MARKETING COMMUNICATION AGENCY (CMCA) était poursuivie dans la présente procédure, pour répondre des faits présumés de dbp en coaction avec Amadou Vamoulké, de la somme de 212 millions Fcfa.
Dans le cadre de cette affaire, Amadou Vamoulké et Polycarpe Abah Abah sont placés en détention provisoire depuis 06 ans. L’article 53 du Code pénal dispose qu’ « En cas de détention provisoire, la durée de celle-ci est intégralement déduite de la peine privative de liberté prononcée. » En application des dispositions de cet article, la peine d’emprisonnement de l’accusé Amadou Vamoulke est ramenée à 06 ans, tandis que celle de Polycarpe Abah Abah est de 11 ans.
Au terme de l’audience des 20 et 21 décembre derniers, Me Antoine Mong, l’un des Avocats de Polycarpe Abah Abah a indiqué qu’il entend contester cet arrêt du Tcs. A cet effet, il envisage se pourvoir en cassation devant la Cour suprême.