Réunions publiques : Quand l'interdiction est la règle... L'admission, l'exception !
En démocratie, il est interdit, d'interdire, toute chose égale par ailleurs. Dans un système politique qui se veut démocratique, les activités politiques menées par les partis politiques d'op-position, conformément à la loi, ne doivent en principe pas faire l'objet de mesures d'in-terdiction. L'article 2 de la loi du 19 décembre 1990 portant création des partis politiques au Cameroun dispose : «- Les partis politiques se créent et exercent LIBREMENT leurs activités dans le cadre de la constitution et de la présente loi.» Bien plus, l'article 12 du même instrument normatif dispose que «Tout parti politique autorisé peut:
"-tenir des réunions et organiser des manifestations dans les conditions prévues par la loi(...)»
En dépit de l'existence de ces dispositions législatives, les autorités administratives Camerounaises ont érigé-dans la pratique- l'interdiction en règle-et l'admission en exception... Ce, malgré le régime juridique de la déclaration, substitué à celui de l'autorisation depuis les années 1990.
Aux termes des dispositions de l'article 03 de la loi du 19 décembre 1990 relatif au régime des réunions et manisfestion publiques au Cameroun, «.- (1) Les réunions publiques, quel qu’en soit l'objet, sont libres.
(2) Toutefois, elles doivent faire l’objet d'une déclaration préalable»
Et pourtant, le 12 juin dernier, le sous-préfet de l'arrondissement de Maroua 02ème a procédé à l'interdiction d'une réunion publique, projetée par le parti politique Mouvement pour la renaissance du Cameroun (Mrc). Motif?« Contenir le dé-tournement de l'objet, la réunion pouvant se muer en manifestation publique (Méga meeting)».
Cette réunion avait pour objet l'installation des membres du bureau régional du Mrc dans la région de l'Extrême-nord Cameroun.
Le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun est un parti politique qui tire son fondement légal de l'autorisation Minat N°000221du 25 juillet 2008. Dans ses textes statutaires, «le Mouvement pour la Renaissance du Cameroun proclame son attachement à la liberté dans la discipline, le respect de la loi et des institutions.»
Dans le même ordre d'idées, il n'est pas superflu de convoquer les dispositions de l'article 09 la loi du 19 décembre 1990 portant création des partis politiques au Cameroun :« 9-Ne peut être autorisé, tout parti politique qui:
-porte atteinte à l’intégrité territoriale, à l'unité nationale, à la forme républicaine de l’Etat, à la
souveraineté nationale et à l'intégration nationale, notamment par toutes sortes de discriminations
basées sur les tribus, les provinces, les groupes linguistiques ou les confessions religieuses;
-prône le recours à la violence ou envisage la mise sur pied d’une organisation militaire ou para
militaire (...)»
Dès lors, l'autorisation accordée par le Ministère camerounais de l'administration territoriale (Minat), atteste de la reconnaissance de l'État, à l'attachement de ce parti politique, aux valeurs de la République. Par conséquent, les activités envisagées par ce parti politique bénéficient d'une présomption de légalité... Et ne saurait faire l'objet de mesures d'interdiction a priori.
Quand la Présomption de culpabilité devient la norme, et la présomption d'innocence l'écart...
En l'absence d'éléments tangibles, l'autorité administrative ne saurait se prévaloir d'une simple supposition, pour motiver l'interdiction d'une réunion dédiée à l'installation du bureau régional d'un parti politique. Le faisant, l'autorité administrative se livre ainsi à un procès d'intention à l'encontre du Mrc... Sacrifiant injustement- par la même occasion- le sacro saint principe de la présomption d'innocence, pour ériger en norme, la présomption de culpabilité !
La décision portant interdiction de la réunion publique projetée par le Mouvement pour la renaissance du Cameroun intervient dans un contexte où les partis politiques d'opposition au Cameroun, expérimentent au quotidien, les mesures restrictives prises à leur encontre par l'autorité administrative.
A l'accoutumée, les décisions portant interdiction des réunions et manifestations publiques sont motivées par la fameuse formule : «risque de trouble grave à l'ordre public.»
La fréquence du recours par l'autorité administrative à cette formule invite à s'interroger :«A quel moment finalement, ce pays, longtemps vanté comme Havre de paix, ne fait-il pas face, aux "risques de trouble grave à l'ordre public ? Un État, doté d'un gouvernement en charge de la gestion des affaires publiques, et donc, de la régulation du climat social, peut-il sans cesse brandir le "risque de trouble grave à l'ordre public, alors même que sa mission consiste, de par ses bras séculiers que sont la police et la gendarmerie, d'assurer la sûreté et la sécurité de ses citoyens, y compris des activités menées par les partis politiques ?»
Et du principe de l'égalité...
Quid du principe de l'égalité de tous devant la loi? L'interdiction du meeting projeté du Mrc a lieu alors même qu'il y a de cela environ une semaine, Robert Kona, l'un des membres fondateurs du Parti camerounais pour la réconciliation nationale (Pcrn) a organisé un Congrès de cette formation politique. Congrès dont la tenue a pourtant fait l'objet d'une interdiction, par le Tribunal de première instance de Kaele. Ce, en raison de l'existence d'une affaire encore pendante devant cette juridiction, relativement à l'annulation des résolutions du Congrès du 11 mai 2019 de cette formation politique. Lesquelles résolutions avaient porté l'honorable Cabral Libii à la tête du Prcn.
Au chapitre des contradictions, s'ajoute l'immunité de fait, dont bénéficie le parti au pouvoir, le Rassemblement démocratique du peuple camerounais (Rdpc), dont les réunions et manifestations publiques ne souffrent d'aucune mesure restrictive, prise à son en-contre, par l'autorité administrative.
En toute logique, l'on est en droit de dénoncer ici, l'application d'une politique du deux poids deux mesures, dont bénéficie le Rdpc et ses "partis satellites"!
Il convient de souligner que les mesures d'in-terdiction des réunions et manifestations politiques constituent un frein à l'expression des suffrages, dont la mission incombe aux organisations politiques. De même, l'occurrence de ces mesures attestent d'un regressement manifeste de l'expression des libertés publiques, dont la liberté d'expression en est une émanation, depuis l'avènement du vent des libertés il y a 34 ans.
Florentin Ndatewouo