Sieur Mbiaga : « Le droit comptable auquel la CRTV est soumise a une exigence dans ses principes, celle de l'image réelle de l'entreprise. »

L’accusé est entendu en partie sur la question du paiement effectué « sans la moindre preuve de service fait ». Il répond aux questions posées par les Avocats de la partie poursuivante, au cours de l’audience du 16 juin au Tribunal criminel spécial de Yaoundé.

 

Par Florentin Ndatewouo

 

Me Kangue

Pourquoi avoir apuré le compte tiers fournisseur du montant sus-indiqué alors que la CRTV avait déjà elle-même fait une dépréciation à 100% ?

 

Sieur Mbiaga

Le compte fournisseur débiteur n'est pas un compte de passif. Mais plutôt un compte courant. Les créances en comptabilité sont plutôt à l'actif et non au passif. Deuxièmement, la provision de dépréciation des créances est une constatation comptable d'une perte probable.

 

 

Me Abessolo Etienne

Pouvez-vous décrire succinctement les étapes qui sont suivies depuis le moment où une créance apparait douteuse, jusqu'au moment où elle ne représente  plus un problème pour l'entreprise?

 

 

Sieur Mbiaga

Au bout de 04 ou 05 ans, une créance douteuse peut, même si elle reste au bilan, avoir une valeur nulle.

 

 

Me Abessolo Etienne

Quelle était donc la nécessité de faire appel au cabinet Wansi et qu'est-ce qu'il était censé apporter en dehors des prescriptions légales ?

 

 

Sieur Mbiaga

Ce n'est pas moi qui ai jugé de l'opportunité de faire appel au cabinet Pierre Wansi pour l'audit des comptes tiers de la CRTV.

Je pense plutôt que cela relève de la rigueur managériale du directeur général et du Conseil d'Administration.

D'autant plus que le cabinet Wansi a trouvé toutes ces créances qui  étaient déjà provisionnées à 100%, un montant de 17 millions 500 mille recouvrable chez le fournisseur Evi... Ceci après 03 années d'investigations rigoureuses. Ce qui n'est pas négligeable.

 

Me Etienne Abessolo

L'auditeur Wansi a affirmé en guise de conclusion que le compte fournisseur débiteur comprend entre autres :

1) les opérations en charge et en remplacement, dont les paiements sont justifiés par la contrepartie du service fait et ce, pour un montant de 01 milliards 06 millions 791 mille 082 Fcfa;

2) les montants payés aux fournisseurs dont on avait pas encore toute la traçabilité des services faits, pour un montant de 910 millions 503 mille 069 Fcfa. A votre avis, peut-on qualifier la deuxième catégorie de créance comme résultant de paiements effectués sans contrepartie ? Autrement dit, de paiement non-justifiés ?

 

Sieur Mbiaga

Je m'en tiens aux conclusions du cabinet Pierre Wansi à ce sujet, et voici ce qu'il dit réellement à la page 35 de son rapport : « Les montants payés aux fournisseurs dont nous n'avons pas encore toute la traçabilité du service fait (la plupart des opérations sont antérieures à l'exercice 2010): il faudrait les comptabiliser en perte. A notre avis, les soldes fournisseurs débiteur de 910 millions 503 mille 069 Fcfa sont des pertes sur les exercices antérieurs. Il faudrait porter en report déficitaire. C'est ce que les comptables ont fait. Car ici, monsieur Wansi s'est appuyé sur l'âge des suspens pour demander d'apurer.

 

Me Abessolo Etienne

 

Devant ce Tribunal, plusieurs dirigeants ont été condamnés pour des paiements non-justifiés. Est-ce qu'on peut effacer purement et simplement un paiement effectué sans la moindre preuve de service fait ?

 

Sieur Mbiaga

Le traitement comptable d'une créance n'est pas un dépassement de la créance. Il n'a rien à voir avec un dépassement, parce que le droit comptable auquel la CRTV est soumise a une exigence dans ses principes de base qui est le principe de l'image réelle de l'entreprise. Ce principe voudrait que le bilan de l'entreprise reflète sa situation réelle. Car c'est ce bilan qui est envoyé aux impôts, aux banquiers, et à tous les partenaires sociaux.

Il faut également souligner qu'une des cultures comptables dans un bilan n'arrête pas une procédure de recouvrement des créances. S'il y a une procédure de recouvrement en cours.

 

 

Me Abessolo Etienne

Puisque l'apurement n'efface pas une créance. Dans la comptabilité, cette créance se retrouve où par la suite ?

 

Sieur Mbiaga

 

L'apurement n'éteint pas la créance si elle est fondée sur des supports réels. La comptabilité a ses exigences. Elle doit sortir du bilan, mais ne sort pas du portefeuille.

 

Me Abessolo Etienne

Le problème n'est-il donc pas celui des créances à provisionner, puisqu'une créance susceptible de recouvrement ne saurait être provisionnée à 100%, puisque vous avez parlé de perte probable ? 

 

 

Sieur Mbiaga

L'auditeur a clairement dit dans sa conclusion de quoi il s'agissait, et a donné la conduite à tenir sur le plan comptable.

En cas de remise en cause des conclusions de l'audit, un autre audit peut continuer les investigations pour déterminer la nature réelle de ces suspens qu'on ne saurait qualifier de créances réelles, selon les dires de l'auditeur.

On ne saurait non plus qualifier cela de détournement de fonds parce que ce n'est pas détournable. C'est pour cette raison que le Conseil d'Administration, dans son rôle, et qui avait approuvé les comptes selon la loi, et qui est le seul organe pouvant revenir dessus, avait demandé au directeur général de mettre sur pied un comité de 50 membres pour refaire le travail que le cabinet Wansi avait fait, dans le but d'éclairer tout le monde. Mais nous constatons malheureusement que les résultats de ce comité, dont les conclusions épousent pratiquement les mêmes conclusions que celles du cabinet Wansi n'ont pas été transmises au tribunal à dessein.

 

Me Abessolo Etienne

L'opinion de l'auditeur est-elle un simple avis ou une prescription absolue ?

 

Sieur Mbiaga

Dans le cas présent, l'opinion du cabinet Pierre Wansi était une prescription attendue depuis 03 ans, dont on pouvait bien revenir dessus en cas d'éléments nouveaux, pouvant remettre en cause ses prescriptions.

 

Me Abessolo Etienne

Finalement, n'a-t-on pas par cet apurement effacé en comptabilité les traces d'une infraction criminelle ?

 

Sieur Mbiaga

L'apurement en question n'a effacé aucunement les créances réelles de la comptabilité.

 

 

Me Hagbe

Vous avez affirmé que le rapport d'audit était une prescription.

Si on s'en tient à ce postulat, peut-on donc affirmé que le rapport de monsieur Bela Belinga admis dans le dossier de procédure est une prescription ?

 

Sieur Mbiaga

Je voudrais qu'on évite l'amalgame. Lorsque je dis que le rapport du cabinet  Wansi sur l'apurement des comptes tiers

de la CRTV était une prescription, c'est parce qu'il avait dit clairement aux comptables, qui attendaient son rapport depuis 03 ans, ce qu'ils avaient fait, qui pouvait bien être refait en cas d'éléments nouveaux si le Conseil d'Administration le redemandait.

 

Me Hagbe

A l'époque où vous prestiez à la Crtv, le faisiez-vous en tant que personne physique ou morale ?

 

Sieur Mbiaga

Sur le bon de commande que j'ai reçu, il était bien indiqué au cabinet d'études économique, financière et bancaire (Ceefib) qui est une entreprise de droit camerounais immatriculée au registre du commerce de Yaoundé en 2016 ayant une carte du

contribuable aux impôts, et un matricule à la Cnps.

 

Me Hagbe

Quelle est la forme juridique de ce cabinet ?

 

Sieur Mbiaga

Une entreprise individuelle.

 

Me Hagbe

 

Il ressort des factures que vous vous êtes occupé de la révision comptable de la CRTV. Est-ce que vous le confirmé ?

 

Sieur Mbiaga

Je me suis occupé de la révision des comptes, essentiellement sur l'enregistrement.

 

 

Me Hagbe

En quoi consiste la révision des comptes ?

 

 

Sieur Mbiaga

La révision des comptes est un exercice qui se tient généralement en fin d'année dans les entreprises, et qui a pour but de revoir un certain nombre de compte sensible de la comptabilité, dans le but de justifier leur solde, et de corriger certaines anomalies pouvant avoir un impact sur le résultat de l'entreprise et sur son image réelle.

 

 

Me Hagbe

Au regard de votre réponse, s'agit-il d'attester de la régularité et de la sincérité des états financiers d'une entreprise ?

 

Sieur Mbiaga

Non.

 

Me Hagbe

Dans ce cas, en quoi je me trompe ?

 

 

Sieur Mbiaga

Vous vous trompez parce que ma mission n'est pas une mission de certification.

Mais, il s'agit d'une mission ayant pour objectif principal : l'élaboration de la déclaration statistique et fiscale qui est un document destiné essentiellement à la direction générale des impôts. Cependant, pour le cas précis de la CRTV, l'organe chargé de par la loi de 1999, d'attester de la régularité de la comptabilité c'est la commission financière jouant le rôle de commissaire au compte, conformément aux dispositions de l'article 51 de la loi de 1999 qui dispose que « le Conseil d'administration doit approuver les comptes dans un délai de 06 mois, après avis d'un ou des commissaires au compte, après la clôture des exercices. »

 

 

Me Hagbe

En vertu de quelle habilitation légale vous avez effectué les opérations de révision des comptes de la CRTV ?

 

 Sieur Mbiaga

J'avais une mission de révision fiscale des comptes de la CRTV.

Je n'avais pas besoin d'habilitation quelconque pour faire ce travail. Ceci pourquoi, parce que depuis la loi de Finances

de 2003 (si mes souvenirs sont bons), les experts comptables n'avaient plus le monopole dans ce secteur. Car, l'Etat camerounais s'était rendu compte que bon nombre d'entre eux qui étaient constitués d'incompétents dans le domaine de la comptabilité et de fiscalité, à l'instar de monsieur Bela Belinga, avaient pris l'habitude de ne pas faire le travail que l'Etat attendait d'eux, mais de vendre plutôt leur signature d'expert-comptable. C'est monsieur Laurent Nkodo qui était à l'époque directeur général qui avait préparé ce projet de loi, que les députés avaient voté, et qui avait mis un terme à la certification des comptes devant aller aux impôts... En 2022, la même Assemblée nationale a pris une décision par une loi, de confier la révision des comptes, l'élaboration des Dsf, uniquement à ceux qui sont inscrits à l'ordre des Conseils fiscaux.  

 

 

L'audience est suspendue, et renvoyée au 06 juillet, 05 août et 22 août prochains.