Déferrement de Bruno Bidjang: Ce que je pense

Déferrement de  Bruno Bidjang: Ce que je pense
Bruno Bidjang, journaliste en service à vision 4, modère un débat télévisé au cours de l'émission Club d'élites. Il a été déféré à la prison de Yaoundé Kondengui/23/02/2024.

Au travers des plateformes virtuels, j'ai appris hier dans la nuit du 23 février, le placement en détention provisoire, du journaliste Bruno Bidjang, en service jusqu'ici,  au sein de la chaîne de télévision camerounaise, Vision 4...
Cette annonce a provoqué en moi,  comme c'est le cas concernant d'autres citoyens, un sentiment d'émoi... bien qu'il n'existe aucune relation de proximité entre ce dernier et moi, hormis le dénominateur commun que nous avons : la profession.


Le placement en détention provisoire du journaliste Bruno Bidjang fait suite à son interpellation il y a environ trois semaines. A la faveur de cette actualité, j'ai été interpellé aussi bien par des confrères que par divers anonymes sur ce sujet dans nombre de forums. Je me suis donc limité à donner mon avis dans ces différents espaces d'échanges.


Le déferrement de Bruno Bidjang à la prison de Yaoundé suscite une fois de plus une vague de réactions. Des questionnements, l'expression des indignations. Des incompréhensions. Des suspicions, des procès d'intention et des interpellations.
En pareille circonstance, le silence serait-il toujours d'or?

 
Une frange de l'opinion est acquise à l'idée suivant laquelle, le journaliste Bruno Bidjang  est arrêté pour avoir dénoncé  l'augmentation du prix du carburant, et de ce fait,  questionné le silence et le défaut d'indignation des camerounais face à la situation!
Que ce dernier  paie ainsi le prix d'un changement de camp, puisque, d'après les défenseurs de cette thèse-il serait complice jadis-du système qu'il  dénonce aujourd'hui... Son arrestation serait donc, un acte de représailles, dont les auteurs ne sont autres que ses "amis" d'hier. 


Pour justifier ce point de vue, les tenants de cette thèse mettent en avant le timing des évènements. Bruno Bidjang est arrêté juste  quelques temps après avoir réalisé la vidéo qui a fait le tour des réseaux sociaux. Il est donc présenté aux yeux du public comme étant prisonnier de ses propres opinions. Certains y voient, une atteinte au droit à la liberté d'expression.


Il n'est pas superflu de rappeler que l'interpellation du journaliste Bruno Bidjang à la suite de la vidéo consacrée à l'augmentation du prix du carburant n'a pas laissé de marbre son employeur. Un communiqué aux allures staliniennes, du groupe de médias l'anecdote, auquel appartient la chaîne de télévision Vision 4, a interdit aux journalistes et travailleurs dudit groupe d'émettre un avis quelconque sur les sujets d'actualités sur les réseaux sociaux !

Dans un premier temps, je tiens à rappeler que ce n'est pas la première fois que  Bruno Bidjang se prononce sur la question de l'augmentation du prix du carburant. Il l'avait déjà réalisé une vidéo, suite une première augmentation du prix du carburant au Cameroun. Cette vidéo a été partagée dans divers forums. Je me souviens d'ailleurs avoir réagi à la suite de celle-ci. Dans ces forums, mon voicenote existe toujours. 

J'ai appris à travers différentes plateformes que Bruno Bidjang est poursuivi pour les faits présumés d'insurrection, et autres. 
Je tiens à rappeler que jusqu'à présent, aucun document officiel, qu'il s'agisse d'une plainte ou d'un communiqué du Parquet, ou d'un procès-verbal n'indique les faits présumés pour lesquels il a été  arrêté. Pas même les documents publiés par les lanceurs d'alerte.

Lire aussi : Affaire Martinez zogo : L'urgence d'une communication maîtrisée face au conflit entre l'enquête journalistique et l'enquête judiciaire 

En pareille circonstance, l'opinion publique aurait été mieux renseigné si jamais, elle avait eu connaissance de la version fournie par le Parquet compétent. Une précision. Il n'est pas question ici de plaider pour la violation du secret de l'enquête préliminaire et éventuellement de l'instruction. J'ai pleinement conscience de la nécessité et l'obligation qu'a  l'autorité en charge des poursuites,  de veiller à ce que la sérénité gouverne le bon déroulement de l'instruction de cette cause.
 Toutefois, il n'est pas inutile de rappeler le statut professionnel de la personne mise en cause. En sa qualité de journaliste, l'actualité liée à son quotidien suscite nombre de questionnements. La sortie du Parquet, dans les limites du permis, aurait donc eu le mérite d'apporter quelques clarifications, afin de mieux situer l'opinion publique qui,  jusqu'ici,  se cantonne à de simples supputations. 


Il n'est pas non plus question ici de plaider pour l'octroie d'un privilège aux journalistes. Mais  plutôt, de permettre au Parquet de communiquer sur des aspects qui ne portent pas sur le fond du dossier, et qui ne sont pas de susceptibles de compromettre la sérénité de l'enquête en cours. Le Ministère public dispose de cette compétence, nous avons déjà élaboré sur la question en d'autres circonstances.
En l'absence donc des motifs réels de l'interpellation du journaliste Bruno Bidjang, il ne nous reste plus qu'à échanger sur de simples supputations. 

Si l'on part donc des supputations, selon lesquelles, Bruno Bidjang serait arrêté pour les faits présumés d'insurrection, en rapport avec sa vidéo sur l'augmentation du prix du carburant, je dirais que cette infraction ne correspond pas. Il n'y a rien d'insurrectionnel dans cette vidéo, du moins, celle qui a été portée à ma connaissance. A cet effet, il me plaît ici de revenir sur le sens de ce vocable, tel que défini par le législateur du 12 juillet 2016."Est puni d'un emprisonnement de dix(10) à vingt (20) ans celui qui, dans un mouvement insurrectionnel :

a) provoque ou facilite le rassemblement des insurgés par quelque moyen que ce soit ;

b) empêche par quelque moyen que ce soit, la con-vocation, la réunion ou l'exercice de la for-ce publique ou s'en empare;

c) envahit ou détruit des édifices publics ou privés ;

d) détient ou s'empare d'armes, de munitions ou d'explosifs ;

e) porte un uniforme, un costume ou autres insignes officiels, civils ou militaires." Ainsi dispose l'article 116 de la loi du 12 juillet 2016 portant code pénal. 
Revenons à l'expression "mouvement insurrectionnel" contenu dans le Code pén-al camerounais. Les dictionnaires Larousse et Robert définissent le terme "insurrectionnel" comme ce qui "tient de l'insurrection". Le terme "insurrection" quant à lui désigne :"le soulèvement qui vise à renverser le pouvoir établi en ayant recours à l'armée".
Questions:  A quelle séquence de la vidéo, le journaliste Bruno Bidjang a-t-il eu recours à l'armée, dans le but de renverser le régime actuel ? A quel moment en a-t-il appelé au soulèvement? Comment peut-on assimiler le questionnement du silence des citoyens à un quelconque appel au soulèvement ? 

Dans l'hypothèse où, par alchimie, cette thèse serait valable, on peut tout de même se poser la question de savoir si Bruno Bidjang dispose des moyens humains, intellectuels, matériels pour mobiliser une armée- à l'effet de renverser le pouvoir. Il s'agit ici d'une infraction impossible. Les spécialistes de la question le savent pertinemment.


Bien plus, en interrogeant l'augmentation du prix du carburant à la pompe, et par voie de conséquence, les réactions éventuelles qui pourraient en découler, le journaliste Bruno Bidjang  a agi dans les limites de ses prérogatives. En effet, l'information, l'analyse critique des sujets d'actualités font partie des prérogatives qui lui sont reconnues par la Charte de Munich, instrument juridique de portée internationale qui énonce les droits et devoirs des professionnels de l'information. Le contenu de cette charte est partagé par l'article 19 de la déclaration universelle des droits de l'Homme. Le préambule de la Constitution du 18 janvier 1996 intègre cette notion. 
  En conséquence, dans l'hypothèse où le journaliste Bruno Bidjang aurait été arrêté et placé en détention provisoire pour ces infractions présumés évoquées en sus, j'estime qu'il s'agit d'une atteinte à la liberté d'expression. Le tribunal militaire n'est pas compétent pour connaître de cette affaire. Les conditions contenues dans l'article 08 de la loi du 12 juillet  2017 portant code de justice militaire ne sont pas réunies. 

 Toutefois, n'ayant pas un ensemble de données comme je l'ai indiqué plus haut, le bon sens  m'impose ici-de faire de la CIRCONSPECTION dans l'analyse de cette actualité- ma religion. 


Ainsi, il convient rappeler que  Bruno Bidjang a déjà fait l'objet d'une détention, d'abord à la Direction de la police judiciaire du Centre à Yaoundé, et près d'un an plus tard,  dans les cellules du Secrétariat d'État à la défense(Sed). 
Sa détention au Sed était liée à l'affaire Martinez zogo. Nombre de ses collègues avaient séjourné dans les locaux de cette établissement pénitentiaire, relativement à cette procédure. Il est n'est donc pas exclut- qu'en raison de l'évolution de l'information judiciaire en cours dans le cadre de cette affaire- que le juge d'instruction ait décidé de décerner contre lui, un mandat de détention provisoire. Ce, au regard des éléments du dossier en sa possession. 

A cet effet, dans l'hypothèse où ce Magistrat du siège estime qu'il y a de quoi interpeller Bruno Bidjang, dans le cadre de cette autre procédure, je me garderais de demander sa libération, au risque de faire l'apologie de l'obstruction des procédures judiciaires. Il est certes journaliste, mais,  il est d'abord citoyen et donc, sujet de droit. En conséquence, il n'est pas au-dessus des lois. Il n'est pas en dessous des normes non plus.
 Dès lors, en l'absence d'éléments qui me permettent d'avoir une idée précise, réelle,  des motifs de son arrestation, je ne peux que demander à ce que ses droits soient respectés tout au long des différentes phases de la procédure, en vue de la manifestation de la vérité. Je fais ici allusion, entre autres, à son droit à la présomption d'innocence, le droit d'être informé des motifs de son arrestation, le droit d'être assisté par un Avocat, le droit à ce que sa cause soit entendue, le droit de disposer des moyens nécessaires pour assurer sa défense...

Florentin Ndatewouo, journaliste en charge des questions juridicojudiciaires.