Affaire CRTV : Comprendre la condamnation d’Amadou Vamoulké

Affaire CRTV : Comprendre la condamnation d’Amadou Vamoulké

Poursuivi pour les infractions de détournement de biens publics (Dbp) et coaction de Dbp, l’ancien directeur général de la CAMEROON RADIO TELEVISION (CRTV) a écopé de la peine de 20 ans de prison. A l’audience d’hier 28 août au Tribunal criminel spécial de Yaoundé, la Collégialité porte à 02 milliards 486 millions Fcfa, le montant cumulé des chefs d’accusation imputée à l’accusé. De l’avis du Tribunal, les pertes financières enregistrées découlent du non respect par la  défenderesse,  des dispositions de la loi du 22 décembre 1999, portant statut général des établissements publics et des entreprises du secteur public et parapublic, notamment, « En décidant seul d'octroyer ces primes... »

Par Florentin Ndatewouo 


Sur les visages, la désolation est perceptible. Vêtue en ensemble pagne multicolore, une dame, la trentaine entamée, traine ses pas sur les différentes marches qui mènent à la première salle d’audience du Tribunal criminel spécial (Tcs) de Yaoundé. Elle amène avec elle, un plastique transparent, contenant des fruits d’orange. En salle d’audience, elle échange quelques mots avec ses congénères : «-L’affaire-ci va mal se terminer !- Weeh mama laisse-moi comme ça je suis dépassée», réagit son interlocutrice,
  La mine peu avenante, elle peine à soutenir le regard de l’assistance disparate.  A  l’aide de ses deux mains, elle maintient droit, la tête enveloppée d’un foulard, qui porte déjà le poids du fardeau de la tristesse. 
A proximité, des membres et proches de la famille d’Amadou Vamoulké sont présents. Ils prennent part à l’audience d’hier 28 août au Tribunal criminel spécial (Tcs) à Yaoundé. 
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Le tribunal vient de procéder à la déclaration de culpabilité de l’accusé Amadou Vamoulké. 
Vêtu d’une Chicha à la tête, et d’un kandoura de couleur beige, Amadou Vamoulké discute avec son coaccusé, Gabriel Belinga. Ces échanges sont interrompus à l’arrivée des membres de la Collégialité. 
Lorsque la sonnerie retentit, les Magistrats du siège effectuent leur entrée dans la salle, à la suite du représentant du Ministère public. Les murmures cèdent progressivement place au silence. Seul le souffle du vent projeté par les ventilateurs muraux est audible. Et  la voix retentissante du président Tsanga de rompre le suspense : « Le tribunal, statuant publiquement et par défaut à l’égard de l’accusée Zufambon Vishiti Christiana épouse Vega, et contradictoirement à l’égard des autres parties et à l’unanimité des voix déclare : Amadou Vamoulké coupable des faits de détournement de biens publics de la somme de  71 millions 485 mille Fcfa… » Pour motiver sa décision, le Tribunal procède à l’analyse juridique des faits en cause. Mais avant, le rappel des faits.  

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« La lettre du Premier ministre citée par l’accusé Vamoulké est adressée aux membres du gouvernement et n'est pas étendue aux entreprises et établissements publics administratifs. Cette lettre est hors sujet. »

_________________Le tribunal________________


 La collégialité note que, le montant de 71 millions 485 mille Fcfa en querelle est déboursé sur ordre du directeur général de la CRTV d’alors, Amadou Vamoulké. Cette somme a servi au paiement des primes au personnel de la CAMEROON RADIO TELEVISION, impliqués dans l’élaboration du budget programme. Aussi bien durant les réquisitions finales de l’Avocat général qu’au cours des observations de la partie civile, l’accusation a soutenu le caractère illégal de l’octroi des primes. 
En face, la défense d’Amadou Vamoulké a pour sa part opposé la régularité du paiement des primes querellées. La défenderesse  fonde sa prétention sur la lettre circulaire du premier ministre, datée du 27 mai 2010. 
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Que nenni !  Ainsi, rétorque le tribunal : « La lettre du Premier ministre citée par l’accusé Vamoulké est adressée aux membres du gouvernement et n'est pas étendue aux entreprises et établissements publics administratifs. Cette lettre est hors sujet. » Le tribunal, dans sa formation collégiale dénonce le non-respect par l’accusé, des dispositions de la loi du 22 décembre 1999, portant statut général des établissements publics et des entreprises du secteur public et parapublic. Aux termes des dispositions de l’article 41 (1), « Le conseil d'administration a les pouvoirs les plus étendus pour agir au nom de l'entreprise, définir et orienter sa politique générale et évaluer sa gestion, dans les limites fixées par son objet social, et sous réserve des dispositions de la présente loi. » L’alinéa (2) de cette article poursuit : « En particulier, et sans que cette énumération soit limitative, le Conseil d'administration a le pouvoir : 
a. de fixer les objectifs et d'approuver les programmes d'action conformément aux objectifs globaux du secteur concerné ;
 b. d'approuver le budget et d'arrêter de manière définitive les comptes et les états financiers annuels ; 
c. d'approuver les rapports d'activités ;
 d. d'adopter l'organigramme, le règlement intérieur, le barème des salaires et les avantages du personnel proposés par le directeur général (…) »
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Le Tribunal note que, le paiement des primes n'est pas prévu par les textes organiques de la CRTV. De plus,  «Le directeur général de la CRTV  n'a pas produit au cours des débats, une résolution du Conseil d'administration lui permettant cette sortie de fonds. » Ainsi, « En décidant seul d'octroyer ces primes, l'accusé Amadou Vamoulke a violé les textes. Il y a lieu de l'en déclarer coupable, au sens des dispositions de l’articles 184(1a) du code pénal.»
Aux termes des dispositions de l’article 184 (1a) de la loi du 12 juillet 2016, portant Code pénal , «  Quiconque par quelque moyen que ce soit obtient ou retient frauduleusement quelque bien que ce soit, mobilier ou immobilier, appartenant, destiné ou confié à l'Etat fédéral ou fédéré, à une coopérative, collectivité ou établissement, ou publics ou soumis à la tutelle administrative de l'Etat ou dont l'Etat détient directement ou indirectement la majorité du capital, est puni : a) Au cas où la valeur de ces biens excède 500.000 francs, d'un emprisonnement à vie… »
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Amadou Vamoulké est également condamné pour l’infraction de détournement de biens publics de la somme de 24 millions Fcfa. Ce montant est débloqué sur ordre de l’ancien directeur général de la CRTV. La responsabilité pénale de l’accusé est retenue en raison d’un double paiement effectué au profit de certains prestataires, dans le cadre de la construction de certaines infrastructures de l’Institut de formation et de conservation du patrimoine audiovisuel (Ifcpa) de la CRTV. 

Amadou Vamoulke, incarcéré à la prison centrale de Kondengui, a est déclaré coupable dans le cadre d'une seconde procédure. L'ancien directeur général de la CRTV est condamné à la peine de 20 ans de prison, pour les faits de detournement de biens publics à l'audience au Tcs Yaoundé/28/08/2024.


Dans le même ordre d’idées, Amadou Vamoulké est déclaré coupable de l’infraction de détournement de biens publics en coaction avec l’accusé Christiana Zufambon Vishiti. Il est reproché à ces deux accusés, la distraction des montants de 02 milliards 143 millions Fcfa, 55 millions Fcfa, et 192 millions 520 mille 375 Fcfa. Dame Zufambon n'a pas comparu devant le Tcs. Cette accusée a pris la poudre d'escampette, après son audition à l'enquête préliminaire. 

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« La clarté des documents, et des pièces produites au cours des débats ne laisse subsister aucun doute sur l'absence de détournement de biens publics. Il convient de déclarer les accusés Amadou Vamoulke, Zufambon Vishiti, Abel Gara, Gabriel Belinga, Lucie Ngamva, non coupables de ce chef d'accusation. »

_________________Le tribunal_________________


Par ailleurs, dans le cadre de cette procédure, 04 autres accusés ont comparu devant le Tcs. Jean-Pierre Mbiaga a rendu l’âme au cours de la procédure. Le tribunal a constaté l’extinction de l’action publique jadis initiée à l’encontre du défunt, eu égard aux dispositions de l’article 62 (1) de la loi du 27 juillet 2005 portant Code de procédure pénale.
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L’action publique a tout de même perduré à l’encontre des 03 autres accusés. Abel Gara, Lucie Ngamva, Gabriel Belinga sont déclarés non coupables. Ces accusés ont été attraits par devant le Tcs pour répondre des faits de détournement de biens publics en coaction avec Amadou Vamoulké. Les montants de :
-10 milliards 662 millions 669 mille 306 Fcfa ;
-525 millions 384 mille 453 Fcfa ;
-235 millions Fcfa leurs ont été imputés par l’accusation.


 Dans son arrêt, le tribunal n’a pas cru devoir les maintenir dans les liens de l’accusation. Motif ? « La clarté des documents, et des pièces produites au cours des débats ne laisse subsister aucun doute sur l'absence de détournement de biens publics. Il convient de déclarer les accusés Amadou Vamoulke, Zufambon Vishiti, Abel Gara, Gabriel Belinga, Lucie Ngamva, non coupables de ce chef d'accusation. »
Amadou Vamoulké a par ailleurs été acquitté du chef de détournement de biens publics de la somme de 07 millions 597 mille 464 Fcfa. A cet effet, après avoir été admis au bénéfice des circonstances atténuantes, « compte tenu de son âge avancé », la Collégialité inflige à l’ancien directeur de la CRTV, la peine de 20 ans d’emprisonnement. Dame Zufambon écope quant à elle, de la peine d’emprisonnement à vie. Une peine dont le quantum a d’ailleurs été requise par l’Avocat général, à la suite de la déclaration de la culpabilité de ces deux accusés. 
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Le montant cumulé de l’infraction de détournement de biens publics imputée à l’accusé Amadou Vamoulké s’élève à 02 milliards 486 millions Fcfa.  
Au registre des sanctions accessoires, Amadou Vamoulké est frappé de déchéance prévue à l’article 30 du Code pénal. Cette sanction s’étend sur une période de 10 ans. Le tribunal s’est toutefois refusé d’ordonner la confiscation des biens de l’accusé. Toutefois, un mandat d’incarcération est décerné séance tenante à l’encontre de l’ancien directeur général de la CRTV.  
Outre la peine privative de liberté, Amadou Vamoulké est astreint au paiement à la partie civile, de la somme de  02 milliards 486 millions 397 mille 400 Fcfa, au titre de dommages et intérêts. Les dépens sont liquidés à la somme de 125 millions Fcfa. 
Dans son arrêt, le tribunal a rejeté les exceptions de nullité introduites par la défense d’Amadou Vamoulké.  


Amadou Vamoulké séjourne à la prison centrale de Yaoundé Kondengui suivant le mandat de détention provisoire daté du 23 mars 2018. Au mois de mars 2024 dernier, l’accusé avait déjà purgé la peine de 06 ans de prison. L’article 53 (1) de la loi du 12 juillet 2016 portant Code pénal dispose : « En cas de détention préventive, la durée de cette détention est intégralement déduite de la peine privative de liberté prononcée. » En application de cette disposition légale, la peine privative de liberté de 20 ans d’emprisonnement, prononcée à l’audience d’hier 28 août de l’année en cours, à l’encontre de l’accusé Amadou Vamoulké, est ramenée à 14 ans. 
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Il convient de noter que l’ancien directeur général de la CRTV avait déjà écopé d’une peine d’emprisonnement de 12 ans, dans le cadre d’une autre affaire de détournement de biens publics. Pour cette première procédure, Amadou Vamoulké avait déjà passé 05 ans de détention au moment de sa condamnation. Il ne lui restait plus que la durée de 07 ans à purger en milieux carcéral. Avec la nouvelle condamnation, Amadou Vamoulké passera encore 20 ans de prison derrière les barreaux. 
 Les Avocats d’Amadou Vamoulké ont annoncé avoir introduit un pourvoir en cassation à la juridiction suprême.