Affaire ART : Qu’est-ce qui fonde le Tribunal à condamner Jean Louis Beh Mengue ?
L’Ex-directeur général de cet établissement public administratif est privé de liberté pour durée de 20 ans. La décision du Tribunal criminel spécial est motivée entre autres, par la violation par l’accusé, du principe de séparation de fonctions d’ordonnateur et comptable. Ce qui a conduit à la distraction de fonds à hauteur de 389 millions 720 mille 638 Fcfa.
Par Florentin Ndatewouo
13h48. L’audience est suspendue. Les membres de la collégialité se retirent de la salle pour délibérer. Jean Louis Beh Mengue adopte une attitude olympique. Il fait preuve de fair-play et serre dans ses bras, sa coaccusée, dame Maryamou épouse Idrissou. Ensuite, les détenus quittent le box des accusés. A l’aide d’un mouchoir jetable, dame Maryamou essuie les larmes de joie qui coulent sur ses joues. Elle est vêtue d’un sari indien de couleur blanche. Un blanc qui traduit son innocence aux yeux du Tribunal. Le Tcs vient de l’acquitter. Elle ne peut se priver de ce sentiment d’allégresse qui l’habite. Ainsi, dame Maryamou se rapproche des siens dont elle s’est séparée depuis ses deux ans de détention provisoire à la prison centrale de Yaoundé Kondengui. Il s’ensuit des accolades à n’en plus finir.
De son côté, Jean Louis Beh Mengue est encerclé des amis et membres de sa famille. Il échange avec ces derniers, tel un père tenant une dernière réunion familiale avant son départ pour 20 ans d’absence. Ces retrouvailles ont lieu ce 01er novembre au Tribunal criminel spécial (Tcs) à Yaoundé.
La sentence est attendue. Mais avant, la collégialité a procédé à l’analyse juridique des faits reprochés aux mis en cause.
L’accusée dame Maryamou épouse Idrissou est poursuivie pour détournement présumé de la somme de 95 millions 257 mille 920 Fcfa. Ce montant représente son salaire perçu pendant 19 ans de service à l’Agence de Régulation des Télécommunication (ART). La partie demanderesse lui reproche le fait d’avoir été recrutée au sein de cet établissement public administratif sur la base d’un faux diplôme. Le diplôme querellé est le Baccalauréat G2 obtenu au Tchad.
L’accusée dame Ngono Anne Marlyse est poursuivie pour les mêmes faits. L’accusation lui impute le détournement de la somme de 5 millions 215 mille 950 Fcfa.
Le Tribunal note une CONTRARIETE qui laisse planer le DOUTE. Ladite contrariété est « EXACERBEE » par l’attitude de la commission nationale d’évaluation des formations dispensées à l’étranger. Cette commission n’a pas répondu à la demande d’authentification formulée à son endroit par l’accusée dame Maryamou. En conséquence, « il convient de déclarer dame Maryamou épouse Idrissou et dame Ngono Anne Marlyse non coupables au bénéfice du doute. »
L’accusé Jean Louis Beh Mengue, Ex-directeur général de l’ART est poursuivi pour les faits de détournement de biens publics et complicité de détournement de biens publics avec l’agent comptable sieur Eteta’a Ntonga Gaston Michèle.
« Beh Mengue n’a pas pu justifier les variations du salaire. Le trop perçu est frauduleux et par conséquent constitue un détournement de biens publics. Des faits prévus et réprimés par les articles 74, 184 (1a) du Code pénal. »
Au sujet du détournement et complicité présumé de la somme de 389 millions 720 mille 638 Fcfa, le Tribunal note que « face à son incapacité à justifier les écarts de caisse, Eteta’a Ntonga Gaston Michèle a préféré la fuite ». Sa responsabilité est définie à l’article 58 de la loi du 26 décembre 2007 portant régime financier de l’Etat. « Les comptables publics sont des agents publics régulièrement préposés aux comptes et/ou chargés du recouvrement, de la garde et du maniement des fonds et valeurs… (2) Ils ont une responsabilité personnelle et pécuniaire qui porte sur :
-les deniers et les valeurs dont ils ont la charge ;
-les recouvrements des titres exécutoires pris en charge ; les paiements effectués ;
-l’exactitude des écritures qu’ils tiennent. » Le Tribunal fait grief à l’accusé Jean Louis Beh Mengue, de la violation du principe de séparation des fonctions d’ordonnateur et d’agent comptable. Aux termes de l’article 47 de la loi citée supra, en vigueur à l’époque des faits, « les fonctions d’ordonnateur et de comptable sont et demeurent séparées. » Le Tribunal note que de par la signature des chèques bancaires, l’Ex-dg de l’ART s’est comporté en comptable de fait.
« L’attribution à son compte d’une telle prime est abusive, frauduleuse et constitutive de l’infraction de détournement de biens publics. »
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Le Tribunal analyse les faits relatifs au détournement présumé de la somme de 76 millions 722 mille Fcfa. Ce montant représentant le salaire « indument perçus ». La collégialité observe que « Beh Mengue n’a pas pu justifier les variations du salaire. Le trop perçu est frauduleux et par conséquent constitue un détournement de biens publics. Des faits prévus et réprimés par les articles 74, 184 (1a) du Code pénal. »
Au sujet de la prime d’ancienneté nouvelle, l’article 16 du décret du 08 septembre 1998 organisant l’Agence de Régulation des Télécommunications dispose que la rémunération du directeur général et du directeur général adjoint est fixée par la Conseil d’administration. Le Tribunal rappelle que la prime d’ancienneté nouvelle ne figure pas dans le décret du 20 août 1987 fixant la rémunération et les avantages des personnels des sociétés d’Etat, des établissements publics et des sociétés d’économie mixte. « L’attribution à son compte d’une telle prime est abusive, frauduleuse et constitutive de l’infraction de détournement de biens publics. » Le Tribunal se livre au même exercice au sujet des rubriques intitulées comice agropastoral, appui aux tutelles, pour aboutir à sa décision.
De retour en salle, l’audience reprend : « Le Tribunal, statuant par défaut à l’égard des accusés Eteta’a Ntonga Gaston Michèle, dame Ngono Anne-Marie et contradictoirement à l’égard des autres parties, déclare dame Maryamou épouse Idrissou, non coupable des faits de détournement de biens publics ; l’acquitte au bénéfice du doute, ordonne la mise en liberté de dame Maryamou, ordonne le déblocage de ses comptes bancaires logés dans à la Bicec, ecobank, expression »
Bien qu’ayant pris fuite, l’accusée dame Ngono Anne marlyse est aussi déclarée non coupable des faits de Dbp.
Le tribunal requalifie les faits de complicité en coaction, « déclare Jean Louis Beh Mengue et Etéta’a Ntonga Gaston Michel coupable des faits de détournement de biens publics en coaction de la somme de 389 millions 720 mille 638 Fcfa ; déclare Jean Louis Beh Mengue coupable de détournement de biens publics de la somme de 237 millions 233 mille Fcfa ; admet au bénéfice des circonstances atténuantes, le condamne à 20 ans d’emprisonnement, prononce la déchéance de 10 ans d’emprisonnement après l’expiration de la peine. » l'accusé sieur Gaston Eteta'a Ntonga est condamné à la peine d'emprisonnement à vie.
De ces condamnations, il s’ensuit des peines pécuniaires. A cet effet, le Tribunal reçoit l’ART en sa constitution de partie civile. Jean Louis Beh Mengue et sieur Ntonga Eteta’a Gaston Michèle sont condamnés à payer solidairement au demandeur la somme de 389 millions 720 mille 638 Fcfa. En guise de remboursement des montants quérellés, relatifs à l’infraction de coaction de Dbp. La somme de 438 millions 034 mille 400 Fcfa est revue à la baisse. Ainsi, pour l’infraction de détournement de biens publics, l’ancien directeur de l’ART est soumis au paiement de 237 millions 233 mille Fcfa.
En outre, les accusés sont condamnés au paiement des frais de procédure. Ces frais s’élèvent à hauteur de 20 millions Fcfa. A cela s’ajoute les dépens pour un montant de 07 millions 862 mille 844 Fcfa.
Par ailleurs, le Tribunal ordonne la confiscation des biens saisis de Jean Louis Beh Mengue, ainsi que les sommes d’argent retrouvées dans ses comptes bancaires et ceux de sieur Eteta’a Ntonga Gaston Michèle.
Sieur Gaston Eteta’a Ntonga Gaston Michèle dispose de 48 H pour faire opposition à l’arrêt du Tcs. Par le truchement des Avocats, Jean Louis Beh Mengue entend se pourvoir en cassation devant la Cour suprême.