Affaire Mebe Ngo’o et cie : « Je m’interdis d’évoquer la nature, les spécifications techniques des équipements majeurs »
Interrogé sur la convention de prêt ayant abouti à l’achat du matériel militaire, l’Ex-ministre délégué à la présidence chargé de la Défense souligne la sensibilité du sujet et oppose le secret défense. Au cours de son contre-interrogatoire tenu hier 20 octobre au Tribunal criminel spécial, Edgard Alain Mebe Ngo’o s’explique sur les changements survenus lors de l’exécution du contrat commercial avec la société d’Etat chinoise Polytechnology Inc.
Par Florentin Ndatewouo
Il ne cache pas sa gêne. Face à son contradicteur du jour, Edgard Alain Mebe a l’impression d’être incompris : « Si je parlais en langue chinoise, j’aurais compris que vous ayez de la peine à me suivre ». Au prononcé de cette phrase, l’assistance est émue. Les proches de l’accusé ne peuvent davantage se contenir. La salle éclate de rire. « Silence dans la salle », ordonne la présidente de la collégialité. Me Atangana Ayissi fait montre de sérénité, et poursuit tout de même le contre-interrogatoire.
Hier 20 octobre, l’Ex-ministre délégué à la Présidence chargé de la Défense (Mindef) est auditionné par l’un des Avocats de la partie plaignante. Le contre-interrogatoire porte sur le contrat numéro 11BLEX0166. Ledit contrat est postérieur à la signature de la convention de prêt d’Etat à Etat, entre le Cameroun, représenté le Mindef et la société chinoise Polytechnology. Cette convention est signée le 07 avril 2011 par Edgard Alain Mebe Ngo’o, en qualité de ministre délégué à la présidence chargé de la Défense. A la question de savoir en quoi ce contrat est-il une convention de prêt, l’accusé ne tarde pas à monter sur ses grands chevaux : « Je suis un peu stupéfait et découragé de constater que les dossiers qui sont soumis à l’examen de cette haute juridiction ne sont pas étudiés avec toute la méticulosité que leur importance appelle. » Me Atangana Ayissi réplique : « Soyez moins tendu monsieur le ministre. Répondez simplement à la question et réservez-vous de tout jugement de valeur s’il vous plait. »
La convention de prêt entre l’Etat du Cameroun et la République populaire de Chine est constituée de 04 avenants. L’avenant numéro 4 mentionne une lettre de la banque EXIMBANK OF CHINA. Datée du 20 décembre 2012, cette correspondance informe l’Etat du Cameroun de l’invalidation de la convention financière numéro 1270002032012210724 du 24 mai 2012. A cet effet, l’Avocat de l’Etat sollicite de la part de l’accusé, les motivations invoquées par cette banque pour refuser le paiement. Edgard Alain Mebe Ngo’o note que la correspondance traduit un changement de procédure dans l’exécution de la convention. « Initialement, la convention devrait s’exécuter sur la forme de crédit acheteur, c’est-à-dire qu’EXIMBANK OF CHINA met les fonds à la disposition de l’Etat du Cameroun et c’est le Cameroun qui paie Polytechnology. » Ce procédé implique un mouvement de fonds de la Chine pour le Cameroun, et inversement, pour rembourser le prêt. « Mais, la difficulté est venue de la partie chinoise, précisément la société d’assurance Sinaussure, au motif que l’assurance chinoise ne voulait pas assurer un prêt issu de l’achat de l’armement. Les Chinois ne l’ont pas dit expressément mais, c’est ce que nos experts ont compris. » Un changement qui n’est pas sans conséquence. La convention financière signée le 24 mars 2012 par le ministre de l’Economie, de la Planification et de l’Aménagement du Territoire (Minepat) est invalidée. « La partie chinoise a proposé à la partie camerounaise qui l’a accepté, un passage du crédit acheteur précédemment prévu, à un crédit vendeur. Cela veut dire que Polytechnolgy livre les équipements prévus à crédit au Cameroun. EXIMBANK paie sur place Polytechnology ». Dès lors, il n’y a plus mouvement de fonds de la Chine vers le Cameroun. Tout se passe à Pékin. « Cela complique d’ailleurs la tâche aux éventuels braqueurs », précise l’Ex-Mindef.
« Polytechnology, c’est le cœur névralgique de notre dispositif de défense qui est strictement protégé par le secret défense. »
La partie demanderesse marque un intérêt sur l’achat de l’équipement militaire. Me Atangana Ayissi recours au mémorandum d’entente signé avant la convention de prêt et le contrat commercial : « A l’article 1er vous avez présenté une intention d’acheter 6 hélicoptères et 04 patrouilleurs. Après avoir obtenu le visa pour ces quantités, avez-vous effectivement passé les commandes ? » Edgard Alain Mebe Ngo’o rappelle que le M.O.U (MEMORENDUM OF UNDERSTANDING), n’est pas le document qui défini les quantités, la nature et les spécifications techniques du matériel, mais, plutôt le contrat commercial. L’ancien ministre délégué à la Présidence chargé de la Défense ne manque pas d’attirer l’attention sur la sensibilité du sujet : « Polytechnology, c’est le cœur névralgique de notre dispositif de défense qui est strictement protégé par le secret défense. » En conséquence, « Je m’interdis en ma qualité d’ancien Mindef d’évoquer la nature, les quantités et les spécifications techniques des équipements majeurs. Je ne parlerais plus jamais de ça», martèle-t-il. Mais, c’est sans compter sur la ténacité de son contradicteur. Me Atangana Ayissi évoque l’obtention par l’accusé d’un accord « du chef des armés » relatif à l’acquisition pour le compte de l’Etat du Cameroun, de 06 hélicoptères et 04 patrouilleurs. Cependant, il ressort de l’avenant numéro 1 annexe 3 qu’au lieu de 06 hélicoptères, il y en a eu que 04. Que pour un visa de 04 patrouilleurs, il y en a eu que 02 : « Pouvez-vous dire au tribunal si la diminution unilatérale de ce matériel majeur a eu une incidence financière sur les 300 millions d’euros ? » Edgard Alain se montre réticent : « Je ne vais pas rentrer dans les détails des matériels majeurs. Ce sont des données stratégiques que je ne peux pas sortir de ma bouche. » Pour l’accusé, seules les données contenues dans le contrat commercial font autorité. « Il n’y a pas eu de modification quantitative. Ce qui est dans le M.O.U est purement à titre indicatif. Rien ne change dans la valeur totale de la ligne de crédit de 300 millions d’euros », explique-t-il.
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La suite de l’interrogatoire de l’accusé Edgard Alain Mebe Ngo’o est prévue les 16 et 17 novembre prochains. Dans le cadre de cette cause, Edgard Alain Mebe Ngo’o est le premier accusé à être auditionné. Le contre-interrogatoire est consécutif de l’interrogatoire principal précédemment mené par ses Avocats. Ses codétenus, Ghislain Mboutou Elle, Léonard Maxime Mbangue, Bernadette Minla Nkoulou épouse Mebe Ngo’o, Victor Emmanuel Menye prennent part aux différentes audiences. Ils attendent leurs passages dans le box des témoins pour répondre des faits présumés de détournement de biens publics (Dbp), complicité de Dbp, blanchiment aggravé de capitaux, prise d’intérêts dans un acte et corruption.