Plaidoiries :« Notre souhait c'est de mettre un terme à la souffrance du professeur Dieudonné Oyono.»
Me Atangana Ayissi, Avocat de l'ancien recteur de l'Université de Douala demande l'acquittement de son client. A l'audience du 15 septembre dernier au Tribunal criminel spécial à Yaoundé, il défend le caractère régulier des actes de gestion de l'accusé. Par la même occasion, il impute le non reversement de la Taxe sur la valeur ajoutée et l'impôt sur le revenu aux régisseurs des caisses d'avance.
Par Florentin Ndatewouo
La gestion du professeur Dieudonné Oyono est «propre». Tel est l'avis de Me Atangana Ayissi. L'Avocat de l'ancien recteur de l'Université de Douala défend la régularité des actes de gestion de son client. Au cours de sa plaidoirie à l'audience du 15 septembre de l'année en cours au Tribunal criminel spécial (Tcs) à Yaoundé, la défense s'oppose aux chefs d'accusation contenus dans l'ordonnance de renvoi du juge d'instruction.
Il est reproché au professeur Dieudonné Oyono, les faits de détournement présumés de biens publics (Dbp), coaction de Dbp, avec les régisseurs des caisses d'avance, Eyenga Ottou Louis de Gonzagues, Ottou Anicet, et l'agent comptable, sieur Abdoul-Aziz. Le juge d'instruction lui fait grief de la violation des dispositions du décret du 13 mai 2013, portant règlement général de la comptabilité publique. De l'avis de ce dernier, «seul le ministre en charge des Finances fixe les conditions de création, de fonctionnement des régies d'avance, et de nomination des régisseurs des caisses d'avance.»
La partie défenderesse rame à contre courant des arguments développés par le juge d'instruction. Elle note une "confusion". En sa qualité d'ordonnateur, le professeur Dieudonné Oyono a procédé à la signature des décisions portant ouverture des caisses d'avance au cours des années 2014 et 2015.
Dieudonné Oyono, recteur de l'Université de Douala ( de 2012 à 2015), poursuit pour les infractions présumées de détournement de biens publics (Dbp), coaction de Dbp, présent au Tribunal criminel spécial à Yaoundé à l'audience du/15/09/2022.
La défense souligne la problématique de la "compétence". A la question de savoir si le recteur, en sa qualité d'ordonnateur, était-il compétent pour procéder à l'ouverture des caisses d'avance, Me Atangana Ayissi répond par l'affirmative.
Pour accorder du crédit à sa thèse, le défenseur de l'accusé Dieudonné Oyono évoque ce qu'il nommera la "compétence implicite". Le principe de base de cette compétence dite implicite, est celui de l'autonomie administrative et financière des universités. Au regard de leur statut d'Etablissements publics administratifs (Epa), les universités s'auto-gèrent. «Madame la présidente, imaginez le nombre d'Etablissements publics administratifs que compte le Cameroun, les collectivités territoriales décentralisées.... S'il faudrait à chaque fois attendre que le ministre des Finances signe les décisions pour les retraits des fonds, on ferra face à un problème de déconcentration».
« En ce qui concerne particulièrement les décisions de création des caisses d'avance et de mis à disposition des fonds, elles sont signées par l'ordonnateur après examen et visa du contrôleur financier spécialisé»
En plus de la "compétence implicite", Me Atangana Ayissi fait appel à la "compétence expresse". Cette dernière est prévue par la loi du 22 décembre 1999 portant statut général des Etablissements publics administratifs (Epa) et des Entreprises du secteur public et parapubliques. Ce texte énonce que «les Epa sont des établissements publics dotés de l'autonomie financière et de la personnalité juridique, ayant reçu de l'État ou d'une Collectivité territoriale décentralisée (Ctd), un patrimoine d'affection en vue de réaliser une mission d'intérêt général ou d'assurer une obligation...»
En outre, le décret du 19 janvier 1993 portant dispositions communes aux universités, en son article premier dispose: « Les universités sont des établissements publics à caractères scientifique et culture, dotés de la personnalité juridique et de l'autonomie financière administrative et académique».
De plus, la compétence de l'ordonnateur, en rapport avec la signature des décisions portant ouverture des caisses d'avance, trouve son fondement au point 556 de la circulaire numéro 0001/Minfi du 06 janvier 2014 portant instructions relatives à l'exécution du budget de l'État, des Etablissements publics administratifs, des Collectivités territoriales décentralisées, et autres organismes subventionnés pour l'exercice 2014. Cet article prévoit : « En ce qui concerne particulièrement les décisions de création des caisses d'avance et de mis à disposition des fonds, elles sont signées par l'ordonnateur après examen et visa du contrôleur financier spécialisé» Les décisions portant ouverture des caisses d'avance querellées ont été admises au dossier de procédure comme pièces à conviction.
Me Atangana Ayissi précise que lesdites décisions comportent les visas du contrôleur financier spécialisé, en sa qualité de représentant de l'État.
La défense du professeur Dieudonné Oyono s'est également appesanti sur l'infraction présumée de coaction de détournement de biens publics. Cette infraction est prévue et réprimée par l'article 96 de la loi du 12 juillet 2016 portant code pénal :«Est coauteur, celui qui participe avec autrui, et en accord avec lui, à la commission d'une infraction».
La défense remet en cause le chef d'accusation de coaction de Dbp.
Me Atangana Ayissi parle de l'impossibilité pour son client et ses coaccusés, de se concerter pour commettre l'infraction qui lui reprochée. A cet effet, le défenseur du professeur Dieudonné Oyono parle du principe de séparation des fonctions. Ce principe est couplé à "l'absence d'un lien hiérarchique", entre l'ordonnateur et les régisseurs des caisses d'avance, le comptable.
«Le fait de dire que le non reversement des impôts sont un dysfonctionnement de la hiérarchie administrative sont inexactes.»
Le principe de la séparation des fonctions est consacré à l'article 46(2)de la loi du 27 décembre 2007 portant régime financier de l'État: «les fonctions d'ordonnateur et de comptable public sont et demeurent séparées et incompatibles tant en ce qui concerne les recettes que l'exécution des dépenses».
Le même principe est contenu dans les dispositions du point 553 de la circulaire du Minfi précitée.« Comment le professeur Dieudonné Oyono à qui il est demandé de s'abstenir des documents comptables, donnant lieu notamment aux règlements des dépenses pouvait-il agir au non-reversement de la Tva et de l'Ir, en coaction avec les régisseurs, pour consommer le non reversement des taxes impôts?» Me Atangana Ayissi met en avant l'autonomie des régisseurs des caisses d'avance, ainsi que les obligations qui en découlent, telles que mentionnées à l'article 43 (2) du décret sur la comptabilité publique évoqué supra :« le régisseur est tenu de justifier la bonne utilisation de l'avance conformément à la nature des dépenses indiquées en produisant des pièces justificatives au comptable assignataire.» Le point 315 de la circulaire du ministre des Finances portant sur l'exécution du budget pour l'exercice 2014 clarifie :«le régisseur est tenu de produire les quittances de reversement au poste comptable.»
Au cours de sa plaidoirie, la partie défenderesse examine le témoignage de l'accusé Ottou Anicet. Dans sa déposition du 17 mai 2018, le témoin affirme:«Les opérations de la gestion de cette caisse d'avance, au regard de la solution des problèmes dont la persistance aurait constituée une entorse au bon déroulement des jeux ,n'a pas permis que cette Tva soit retenue pour être reversée au trésor public.»
Pour Me Atangana Ayissi, «le fait de dire que le non reversement des impôts sont un dysfonctionnement de la hiérarchie administrative sont inexactes.» Motif?
«Les déblocages des fonds dans le cadre des caisses d'avance viennent tout taxes comprises. Les opérations comptables doivent prioritairement payer les taxes avant de payer les factures.» Dès lors, «On ne peut pas refuser de payer les factures au motif qu'il y aurait eu un dysfonctionnement en amont.»
Me Atangana Ayissi invite le tribunal à analyser les infractions reprochées à son client avec une attention sur les textes portant sur le droit comptable et budgétaire, l'arsenal juridique sur les universités. «Notre souhait c'est de mettre un terme à la souffrance, au martyr du professeur Dieudonné Oyono. Ce ne sont pas les éléments d'acquittement qui vont vous manquer.»
L'audience est suspendue, la cause renvoyée au 19 septembre. Cette audience est dédiée à la suite des plaidoiries des Avocats du professeur Dieudonné Oyono.