Affaire Amadou Vamoulké et cie : Le Parquet général près le Tcs revient à la charge.
Le feuilleton judiciaire Amadou Vamoulké et compagnie ne cesse d’étonner de par ses rebondissements. Alors que l’on croyait s’acheminer vers un dénouement, à la suite de la décision rendue par le Tribunal criminel spécial (Tcs) à Yaoundé, statuant en premier et dernier ressort, le Ministère public revient à la charge.
Le Parquet général a décidé de se pourvoir en cassation, contre l’arrêt rendu par la juridiction de jugement du Tribunal criminel spécial, en date du 28 août de l’année en cours. Ainsi, a-t-on appris il y a de cela quelques jours. Selon nos sources, le pourvoi vise aussi bien la durée de la peine infligée à l’accusé Amadou Vamoulké, que l’acquittement des coaccusés de l’ancien directeur général de la CAMEROON RADIO TELEVISION (CRTV).
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Il importe de souligner que le pourvoi formé par le Parquet général près le Tcs est sujet à caution. Il n’est aucunement question ici, de remettre en cause, la capacité de l’autorité de poursuite à faire usage de cette voie de recours : « Toute personne qui a été partie au procès ainsi que le procureur général près la Cour d’appel peuvent se pourvoir en cassation devant la Cour suprême, dans les délais prévus aux articles 478 et 479 », dispose l’article 477 de la loi du 27 juillet 2005 portant Code de procédure pénale (Cpp) camerounais. Aux termes des dispositions de l’article 11(2) de loi du 16 juillet 2012 modifiant et complétant certaines dispositions de la loi du 14 décembre 2011 portant création d’un tribunal criminel spécial, « le pourvoi du Ministère Public porte sur les faits et les points de droit. »
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« Le principe de l’opportunité des poursuites qui permet au Ministère public d’user ou de ne pas user de son droit de poursuite, LAQUELLE POURSUITE DOIT ETRE CONFORME A L’INTERET SOCIAL »,
dixit Emmanuel Ndjeré, Magistrat, ancien président du Tcs
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A cet effet, la controverse autour de la démarche entreprise par le Ministère public porte moins sur la légalité que le l’opportunité de son pourvoi. « Le principe de l’opportunité des poursuites qui permet au Ministère public d’user ou de ne pas user de son droit de poursuite, » prévient Emmanuel Ndjeré, dans son ouvrage intitulé Ministère public ou Parquet Tome I « LAQUELLE POURSUITE DOIT ETRE CONFORME A L’INTERET SOCIAL », ajoute cet ancien président du Tcs.
Dans le cadre de cette affaire, le Ministère public et la CRTV reprochent aux accusés Amadou Vamoulké, Belinga Gabriel, Ngamva Lucie, Abel Gara, Zufambom Vishiti Christianna épouse Vega, les faits présumés de détournement de biens publics (Dbp) et coaction Dbp.
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Dans ses réquisitions finales présentées le 02 mai de l’année en cours, l’Avocat général avait sollicité la condamnation de tous les accusés. A la suite de la déclaration de culpabilité à l’audience du 28 août au Tcs, le représentant du procureur général près la juridiction de céans a requis pour la peine plafond. L’article 184 (1a) de la loi du 12 juillet 2016 portant Code pénal prévoit à cet effet, l’emprisonnement à vie…
Mais le tribunal n’avait pas accédé à cette demande. Dans sa formation collégiale, la juridiction de jugement a admis l’accusé Amadou Vamoulké au bénéfice des circonstances atténuantes. Elle a infligé à ce dernier, la peine de 20 ans de prison. Ce qui a d’ailleurs suscité une levée de boucliers, notamment de la part de nombreuses organisations en charge de la défense des droits de l’Homme.
Dans son arrêt, le Tcs a en outre acquitté les accusés Abel Gara, Lucie Ngamva, Gabriel Belinga. Une décision qui constitue une pilule amère, difficile à avaler pour le Ministère public. Selon nos sources, le Parquet général près le Tcs sollicite au travers de son pourvoi, une peine plus lourde à l’encontre de l’ancien directeur général de la CRTV. Dans le même ordre d’idées, le Ministère public s’oppose à l’acquittement des trois autres accusés.
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« La peine ou la mesure prononcée dans les limites fixées ou autorisées par la loi doit toujours être fonction des circonstances de l’infraction… de la personnalité du condamné(…) »,
Article 93 du Code pénal.
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Nous n’avons pas accès au contenu du pourvoi porté par le Parquet du Tcs à la connaissance de la Cour suprême. Dès lors, nous nous intéressons aux débats menés au cours de l’instruction de l’affaire en audience publique devant la juridiction de jugement, principe de l’immutabilité du litige oblige.
Il convient de noter que la peine privative de liberté de 20 ans d’emprisonnement, dont Amadou Vamoulké est l’objet, intervient à la suite de l’admission de l’accusé par le tribunal, aux circonstances atténuantes, « au regard de son âge avancé.» Ainsi, avait motivé la juridiction de jugement. « La peine ou la mesure prononcée dans les limites fixées ou autorisées par la loi doit toujours être fonction des circonstances de l’infraction… de la personnalité du condamné(…) », souligne l’article 93 du Code pénal.
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Bien que déjà controversée, cette décision a tant bien que mal pris en compte, l’exigence d’humanisation. C’est sans doute dans cette perspective que le tribunal s’est abstenu de prévoir la contrainte par corps dans son arrêt. Aux termes des dispositions de l’article 565 du Code de procédure pénale : « La contrainte par corps ne peut être exercée ni contre les personnes âgées de moins de six-huit (18) ans ou de plus de soixante (60) ans au moment de l'exécution, ni contre les femmes enceintes. »
Dès lors, le recours visant l’aggravation du quantum de la peine par le Ministère public s’inscrit aux antipodes des exigences d’humanisation de la justice. Ce d’autant plus qu’en l’espèce, l’application de la peine plafond telle que requise par le Parquet général n’obéit aucunement au principe de la proportionnalité, posé à l’article 93 du code pénal sus-évoqué. Bien plus, elle n’offre pas la possibilité à l’infracteur présumé, de se corriger en vue d’une réinsertion future, « compte tenu de son âge avancé. »
Qu’en est-il de la contestation relative à l’acquittement des coaccusés d’Amadou Vamoulké ?
Abel Gara, Gabriel Belinga, Lucie Ngamva sont attraits par devant le Tcs pour répondre des faits présumés de coaction de détournement de biens publics. L’accusation fait grief à la défenderesse d’avoir participé à la sortie des fonds de l’office nationale de radiodiffusion. Des fonds dont les dépenses n’auraient pas été appuyés de pièces justificatives.
Les accusés produiront tout au long du procès, les pièces querellées. Mais le Parquet général va rester de marbre. Pour ce dernier, « la messe est dite ! »
Requérir à charge et à décharge !!!
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Mue par sa volonté de voir la défense clouer aux piloris, il va requérir la condamnation de tous les accusés, dans ses réquisitions définitives… Allant jusqu’à remettre en cause, l’authenticité des pièces à conviction, dont l’admission au dossier de procédure du tribunal, a pourtant fait l’objet d’un examen préalable, aussi bien par ses soins, que par la partie civile, et même de la Collégialité.
La production par la défense des pièces à conviction, a permis d’établir la régularité des actes posés par elle. En conséquence, la présentation des documents querellés bat en brèche les chefs d’accusation. De facto, elle induit un changement de paradigme. D’où la décision d’acquittement prononcée par la juridiction de jugement.
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L’on se serait attendu à ce que le Ministère public fasse amende honorable, notamment à l’égard des accusés dont le procès aura causé des dommages multiformes (familiale, professionnel...). Que nenni ! "L’accusateur public" se refuse à courber l'échine ! Il persiste et signe...En effet, en persistant sur la voie de la condamnation de ces accusés, le représentant des intérêts de la société, s’est départi de sa mission. Sa qualité de « gardien de la loi » lui fait obligation de requérir certes à charge, mais aussi, à décharge lorsque les conditions s’imposent : « Le Ministère Public peut soulever l'irrégularité d'un acte de procédure et saisir la juridiction compétente aux fins de l'annuler», dispose l’article 130 du Code de procédure pénale.
Dès lors, le pourvoi introduit par le Parquet de céans, aussi bien en vue de l’aggravation de la peine de prison infligée à Amadou Vamoulké, que sur la remise en cause de l’acquittement de ses coaccusés, ne peut être perçu autrement que comme un acharnement judiciaire.
Dans le cadre de cette procédure, la défense de l’Ex-directeur général de la CRTV avait déjà elle aussi formé pourvoi contre la condamnation d’Amadou Vamoulké.
La juridiction suprême dispose d’un délai de 06 mois pour vider sa saisine.
Par Florentin Ndatewouo, journaliste spécialiste des questions juridicojudiciaires.